Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/37

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cette bourse pour m’enterrer moi et mon fils, pour faire dire des messes en faveur du repos de nos âmes, et pour qu’il vous reste encore une riche récompense de votre peine. »

L’honnête Suisse, un peu borné sous le rapport de l’intelligence, mais bon et fidèle de caractère, fondit en larmes lorsqu’il entendit son maître ainsi parler, et n’osant plus tenter ni remontrances ni opposition, il vit le signor Philipson se préparer à franchir le précipice fatal à l’extrémité duquel son malheureux fils avait paru aller s’offrir au destin qu’avec tout l’aveuglement de la douleur paternelle son père se hâtait de partager.

Tout-à-coup l’on entendit de dessous l’angle fatal d’où la masse de pierre avait été déplacée par les efforts téméraires d’Arthur, le son rauque et prolongé de ces immenses cornets formés de la dépouille de l’aurochs ou taureau sauvage de Suisse, qui, dans les anciens temps, annonçaient la charge terrible de ces montagnards, et de fait leur tenaient lieu en guerre de tout autre instrument de musique.

« Arrêtez, monsieur, arrêtez ! s’écria le Grisou, c’est un signal de Geierstein ; quelqu’un va dans un moment venir à notre secours, et nous montrer la route la plus sûre pour retrouver votre fils… Et voyez-vous… voyez-vous ce buisson vert qu’on distingue au milieu du brouillard ? saint Antoine me protège ! j’aperçois une toile blanche qui flotte à côté. C’est précisément derrière la place d’où le roc est tombé. »

Le père tâcha de fixer ses yeux vers cet endroit ; mais ils se remplissaient si vite de larmes, qu’ils ne pouvaient distinguer l’objet que le guide indiquait… « Tout est inutile maintenant, dit-il, en essuyant ses pleurs… je ne reverrai de lui que ses restes inanimés. — Vous le… vous le reverrez en vie ! répliqua le Grisou ; saint Antoine le veut ainsi… Voyez, la toile blanche s’agite encore. — C’est quelque reste de ses vêtements, dit le père désespéré… quelque malheureuse preuve de son destin… Non, mes yeux ne voient rien… ils ont vu la chute de ma maison… Plût à Dieu que les vautours de ces montagnes les eussent plutôt arrachés de leurs orbites ! — Mais regardez encore : la toile n’est pas simplement accrochée aux broussailles… Je puis voir qu’elle est élevée au bout d’un bâton, et qu’elle s’agite distinctement de côté et d’autre. Votre fils fait un signal pour dire qu’il est sauvé. — Et s’il en est ainsi, » répliqua le voyageur en joignant les mains, « bénis soient les yeux qui le voient et la langue qui le dit ! Si nous