Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/367

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encore le peuple, afin de solder des mercenaires pour qu’ils remplissent des fonctions militaires qu’il est de notre gloire et de notre privilège exclusif de remplir. — Vous avez parlé, sire de Mirabeau, » fut encore la seule réponse du duc. Il prononça ces mots avec calme et tranquillité, comme s’il eût craint que des expressions vives et imprudentes ne lui échappassent avec ce qu’il avait l’intention de dire. Oxford lui lança un regard avant qu’il parlât, comme si le duc en le sachant là devait chercher davantage à se modérer. « Plaise maintenant au ciel, se dit le comte, que cette opposition produise son effet naturel, et décide le duc à renoncer à une entreprise si imprudente, si hasardeuse et si peu nécessaire ! »

Pendant que Philipson adressait intérieurement ce vœu, le duc fit un signe à un député du tiers-état, ou de la bourgeoisie, de parler à son tour. L’individu qui obéit au signal du prince était Martin Block, riche boucher et marchand de bestiaux à Dijon. Ses paroles furent celles-ci : « Noble prince, nos pères ont été les respectueux sujets de vos prédécesseurs, nous sommes les vôtres, et nos enfants seront ceux de vos successeurs ; mais quant à la requête que votre chancelier nous a transmise, elle est telle, que nos ancêtres n’y eussent jamais accédé ; telle, que nous sommes décidés à n’y pas consentir ; telle enfin, qu’elle ne sera jamais accordée par les États de Bourgogne à aucun prince jusqu’à la fin des temps. »

Charles avait supporté avec un silence impatient les discours des deux premiers orateurs, mais cette réplique brusque et hardie du tiers-état lui causa trop d’irritation pour qu’il se contînt davantage. Il se laissa aller à la violence de son caractère ; et, frappant sur le plancher de manière que le trône en trembla, et que la voûte de la salle en retentit, il accabla le hardi bourgeois de reproches. « Bête de somme, dit-il, tes braiements doivent-ils donc m’étourdir aussi ? Les nobles peuvent s’arroger le droit de parler, car ils peuvent combattre ; les prêtres peuvent jouer de la langue, car c’est leur métier ; mais toi, qui n’as jamais versé d’autre sang que celui des bœufs, encore plus stupides que toi-même… faut-il que tu viennes ici, avec une bande de tes pareils, jouir, Dieu me pardonne ! du privilège de beugler devant le trône d’un prince ? Sache, brute que tu es, qu’on n’introduit jamais des taureaux dans un temple que pour les sacrifier, et que des bouchers ou des artisans ne comparaissent jamais devant leur souverain que pour avoir l’honneur de vider leurs bourses, afin de subvenir aux besoins de l’État. »

À ces mots, un murmure de mécontentement, que la frayeur