Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/36

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l’aventurier de son lieu de refuge, ou aurait entraîné l’arbre et lui, dans la rivière. Après un moment d’horrible incertitude, la puissance de la gravitation détermina une chute directe. L’énorme fragment qui devait peser au moins quarante milliers, se précipita donc, écrasant et brisant dans sa course rapide les arbres et les broussailles qu’il rencontrait, puis roulant enfin dans le lit du torrent avec un fracas égal à celui d’une décharge de cent pièces d’artillerie. Le son fut répété par l’écho, de rocher en rocher, de précipice en précipice, avec un tumulte effroyable, et comme à l’envi : enfin le bruit ne cessa que lorsqu’il s’éleva jusqu’aux régions des neiges éternelles, qui, insensibles aux sons terrestres, aussi bien que défavorables à la vie animale, écoutèrent le rugissement dans leur majestueuse solitude, mais le laissèrent mourir sans pouvoir y répondre.

Quelles étaient cependant les pensées du malheureux père qui vit bien tomber l’énorme roc, mais ne put distinguer si son fils unique l’avait accompagné dans sa terrible chute ? Son premier mouvement fut de s’élancer aussi sur la rampe étroite du précipice qu’Arthur venait de traverser sous ses yeux ; et lorsque le jeune Antonio l’arrêta en lui jetant ses bras autour du corps, il se retourna vers le guide avec la furie d’une ourse à qui l’on a volé ses petits.

« Lâche-moi, vil paysan, s’écria-t-il, ou tu meurs à l’instant ! — Hélas ! » répliqua le pauvre garçon tombant à genoux devant lui, « j’ai aussi un père ! » — Cet appel alla au cœur du voyageur qui laissa aussitôt le jeune homme s’éloigner, puis joignant les mains et levant les yeux au ciel, il dit avec l’accent de la plus profonde douleur, mêlée d’une pieuse résignation : « Fiat voluntas tua ! C’était le dernier, le plus aimable, le plus chéri, et le plus digne de mon amour… et pourtant, ajouta-t-il, pourtant au fond de cette vallée planent les oiseaux de proie qui boiront à plaisir son jeune sang… Mais je le verrai encore une fois, » s’écria le père infortuné à l’instant où un immense vautour passa près de lui battant l’air de ses ailes… « je verrai encore une fois mon cher Arthur, avant que le loup et l’aigle le déchirent… je reverrai de lui tout ce qui en reste encore sur terre. Ne me retenez pas… mais mettez-vous ici, et regardez-moi avancer. Si je tombe, comme il est fort vraisemblable, je vous charge de prendre les papiers cachetés que vous trouverez dans la valise et de les porter à leur adresse dans le plus bref délai possible. Il y a assez d’argent dans