Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/33

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seul… et la mienne, de beaucoup moins précieuse, doit, d’après toutes les règles de la sagesse aussi bien que de la nature, être hasardée la première. — Non, Arthur, » répliqua à son tour le père d’un ton déterminé, « non, mon fils ; j’ai survécu à bien des personnes, mais je ne veux pas vous survivre. — Je ne crains pas pour l’issue de mon entreprise, si vous me permettez d’aller seul, mon père ; mais je ne puis, je n’ose entreprendre une tâche si périlleuse, si vous persistez à vouloir en partager le péril avec une aussi faible assistance que la mienne. Tandis que je chercherais à faire un nouveau pas, je serais toujours à regarder derrière moi pour voir comment vous pourriez atteindre vous-même l’endroit que je me préparerais à quitter… Et songez, mon cher père, que si je péris, il ne périra avec moi qu’une chose sans valeur, sans plus d’importance que le rocher ou l’arbre qui est tombé dans l’abîme avant moi. Mais vous… si votre pied glissait, si la main venait à vous manquer, réfléchissez combien de choses et d’individus vous entraîneriez nécessairement dans votre chute. — Vous avez raison, mon enfant… j’aurais encore motif de tenir à la vie, dussé-je même perdre en vous tout ce qui m’est cher… Notre-Dame, et le chevalier de Notre-Dame vous bénissent et vous protègent, mon enfant ! Votre pied est jeune, votre main forte… vous n’avez pas gravi le Plynlimmon[1] en vain : soyez hardi, mais prudent… N’oubliez pas qu’il existe un homme qui, après vous avoir perdu, n’a plus qu’un devoir à remplir qui l’attache à la terre, et que, ce devoir rempli, il vous suivra bientôt. »

Le jeune homme se prépara donc à son dangereux voyage, et se débarrassant de son vaste manteau, montra des membres bien proportionnés que recouvrait un justaucorps étroit et dessinant toutes ses formes. Cependant le père changea de résolution lorsqu’il vit son fils se retourner pour lui dire adieu ; il retira la permission qu’il lui avait donnée, et lui défendit d’un ton péremptoire d’avancer d’un pas. Mais, sans écouter cette défense, Arthur avait déjà commencé la périlleuse entreprise. Descendant de la plate-forme où il se trouvait, grâce aux branches d’un vieux frêne qui poussait par une fente de rocher, le jeune homme parvint, quoique à grands risques, à gagner un étroit sentier, au bord même du précipice, le long duquel il espérait se traîner en rampant jusqu’à ce qu’il pût se faire entendre ou voir de l’habitation que le guide leur avait dit exister en cet endroit. Sa situation, pendant qu’il poursuivait sa

  1. Montagne du pays de Galles. a. m.