Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/326

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s’écartant ainsi lui-même du groupe, comme pour empêcher qu’aucun étranger n’entrât pendant cette scène extraordinaire.

« Et tu es donc, » dit Marguerite d’une voix où la tendresse de femme luttait étrangement avec l’orgueil naturel du rang, et avec l’indifférence calme, stoïque, produite par l’excès de ses infortunes personnelles ; « tu es donc, beau jeune homme, le dernier rejeton de la noble tige dont tant et de si beaux rameaux sont tombés dans notre malheureuse cause ! Hélas ! hélas ! que puis-je faire pour toi ? Marguerite n’a plus même une bénédiction à donner : si bizarre est sa destinée, que ses bénédictions se changent en anathèmes, et qu’elle n’a qu’à vous regarder, qu’à vous souhaiter du bien, pour assurer votre ruine prompte et complète. Moi… j’ai été l’arbre vénéneux dont l’influence fatale a ruiné et détruit toutes les belles plantes qui s’élevaient à côté et autour de moi ; et, après avoir donné la mort à tout le monde, je ne puis la trouver pour moi-même ! — Noble et royale dame, dit le vieil Anglais, que votre auguste courage, qui a résisté à tant de malheurs, ne se laisse point abattre maintenant qu’ils sont passés, et qu’au moins il arrive des temps plus heureux pour vous et pour l’Angleterre. — Pour l’Angleterre, pour moi, noble Oxford ! » répliqua cette reine veuve et abandonnée… « Si le soleil de demain pouvait me replacer sur le trône d’Angleterre, pourrait-il me restituer ce que j’ai perdu ? Je ne parle ni de richesse ni de puissance… elles ne sont rien en comparaison… Je ne parle pas de cette armée de nobles amis qui eut péri pour ma défense et pour celle des miens… les Sommerset, les Parug, les Stafford, les Clifford… ils ont acquis une haute célébrité, ils ont trouvé place dans les annales de leur pays… Je ne parle pas de mon époux : il a échangé le sort d’un saint militant sur la terre contre celui d’un saint rayonnant de gloire dans le ciel… Mais, ô Oxford ! mon fils !… mon Édouard !… m’est-il possible de regarder ce jeune homme sans me rappeler que la comtesse et moi nous mîmes au monde la même nuit deux beaux enfants ? Combien souvent nous sommes-nous efforcées de prévoir leur fortune future, et de nous persuader que la même constellation qui présida à leur naissance influerait dans la suite sur leur vie, et les conduirait par une route unie et facile jusqu’à ce qu’ils atteignissent un bonheur et une réputation à eux prédestinés. Hélas ! ton Arthur vit ; mais mon Édouard, né sous les mêmes auspices, remplit une tombe sanglante ! »

Elle s’enveloppa la tête dans son manteau comme pour étouffer