Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/314

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placer sous la direction du vôtre. De ce moment finira toute relation entre nous, et nos souvenirs devront être comme les pensées que nous donnons à nos amis morts. — Tendres souvenirs, » dit Arthur avec passion, « plus chers à mon cœur que tout ce qui nous reste sur la terre ! — Pas un mot sur ce ton, » répliqua la jeune fille : « avec la nuit doivent se dissiper les illusions, et la raison doit s’éveiller avec le jour. Un mot encore… ne m’adressez pas la parole en route ; vous pourriez en le faisant m’exposer moi à des mortifications et des soupçons insultants, vous-même à des querelles et à des dangers… Adieu ! nos gens sont prêts à monter à cheval. »

Elle quitta l’appartement, où Arthur demeura un instant tout-à-fait interdit de chagrin et de désappointement. La patience, la faveur même avec laquelle Anne de Geierstein avait, le soir précédent, écouté sa déclaration, ne l’avaient pas préparé à la retenue sévère qu’elle venait de lui montrer. Il ignorait que les nobles filles, si le sentiment ou la passion a pu les faire un instant dévier du strict sentier des principes et du devoir, s’efforcent d’expier leur faute en y rentrant aussitôt et en s’attachant à suivre avec exactitude le chemin qu’elles ont momentanément abandonné. Il regardait tristement Annette qui, de même qu’elle était entrée avant Anne dans la chambre, prit la liberté d’y rester une minute après son départ ; mais il ne lisait aucune consolation dans les yeux de la confidente, qui paraissait aussi déconcertée que lui-même.

« Je ne puis imaginer ce qui lui est arrivé, dit Annette ; envers moi elle est bonne comme toujours, mais envers les autres personnes elle fait la comtesse et la baronne on ne peut mieux : et voilà maintenant qu’elle commence à tyranniser ses propres sentiments… et… si c’est le propre de la grandeur, Annette Veilchen souhaite de rester toujours une pauvre fille suisse : elle est maîtresse de sa liberté ; elle peut parler à son amant lorsqu’il lui plaît, pourvu que la religion et la modestie qui convient à une vierge ne souffrent pas dans la conversation. Oh ! une seule marguerite entrelacée avec contentement dans les cheveux vaut mieux que toutes les opales de l’Inde, si elles nous forcent à tourmenter et nous-mêmes et les autres, si elles nous empêchent de dire nos pensées, lorsque le cœur aime à s’ouvrir. Mais ne craignez rien, Arthur ; car si elle a la cruauté de songer à vous oublier, vous pouvez compter au moins sur une amie qui, tant qu’elle aura une langue, et Anne des oreilles, la mettra dans l’impossibilité de le faire. »