Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/307

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renoncer à son projet de m’emmener avec lui la nuit dernière. Je l’ai cependant rejoint de bonne heure ce matin, tandis qu’Annette jouait momentanément mon rôle parmi les députés suisses. Mon père désirait qu’on ignorât quand et avec qui j’avais quitté mon oncle et son escorte. Je n’ai pas besoin de vous rappeler que je vous ai vu dans votre cachot. — Oui, vous m’avez sauvé la vie… vous m’avez rendu la liberté. — Ne me demandez pas le motif du silence que je gardai. J’agissais alors d’après la volonté d’un autre, non d’après la mienne. Votre évasion eut pour objet d’établir une communication entre les Suisses qui étaient en dehors de la forteresse et les soldats qui étaient dedans. Après la prise de La Ferette, je sus de Sigismond Biedermann qu’une troupe de bandits poursuivait votre père et vous dans le dessein de vous voler. Mon père m’avait mis à même de transformer Anne de Geierstein en une dame allemande de qualité. Je partis aussitôt, et je suis heureuse de vous avoir donné un avertissement qui a pu vous soustraire à un péril… — Mais mon père, dit Arthur, — J’ai toute raison d’espérer qu’il ne lui est pas arrivé de malheur, répondit la jeune baronne. D’autres que moi étaient jaloux de vous protéger vous et lui, le pauvre Sigismond des premiers… Et maintenant, mon ami, que ces mystères sont expliqués, il est temps que nous nous séparions, et pour jamais. — Nous séparer !… et pour jamais !… » répéta le jeune homme d’une voix semblable à un écho mourant.

« Telle est notre destinée, reprit la jeune fille ; je vous le demande, n’est-ce pas notre devoir ?… Je vous déclare que c’est le mien. Vous partirez au point du jour pour Strasbourg… et… et… nous ne nous reverrons jamais. »

Cédant à une ardente passion qu’il ne put réprimer, Arthur Philipson se jeta aux pieds de la jeune fille, dont la voix tremblante décelait clairement qu’elle était fortement émue en prononçant les dernières paroles. Elle tourna la tête pour chercher Annette ; mais Annette avait disparu à ce moment très critique, et sa maîtresse ne fut peut-être pas pour une minute ou deux fâchée de son absence.

« Levez-vous, dit-elle, Arthur… levez-vous. Vous ne devez pas vous abandonner à des sentiments qui pourraient être aussi funestes à vous-même qu’à moi. — Écoutez-moi, madame, avant que je vous dise adieu et pour jamais… On laisse toujours parler un criminel, quoiqu’il défende la plus mauvaise des causes… Je suis chevalier, fils et héritier d’un comte dont le nom est répandu en Angleterre, en France, et partout où la valeur mène à la renom-