Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/303

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élémentaires, ce qui la rend beaucoup plus timide que les autres filles de notre monde. »

Anne de Geierstein parut assez contente de voir la conversation prendre un tour différent de celui que sa suivante étourdie lui avait donné, et tomber successivement sur des sujets moins critiques, quoiqu’ils lui fussent encore personnels.

« Le signor Arthur, dit-elle, pense peut-être qu’il a ses motifs pour entretenir à mon égard l’étrange soupçon que vous avez tout à l’heure été assez folle pour exprimer, et qu’accueillent comme vrais certains insensés aussi bien en Allemagne qu’en Suisse. Avouez-le, signor Philipson, vous avez dû concevoir une singulière idée de moi, en me voyant la nuit dernière traverser le pont de Graff’s-Lust pendant votre faction. »

Le souvenir des circonstances qui l’avaient alors si fortement surpris causa un tel tressaillement à Arthur, que ce fut à peine s’il conserva assez d’empire sur lui-même seulement pour essayer de répondre ; et par conséquent il ne répondit que par des mots entrecoupés et inintelligibles.

« J’ai ouï dire, je l’avoue… du moins Rudolphe Donuerhugel m’a rapporté… mais croire, noble dame, que vous puissiez être autre chose qu’une fille chrétienne… ! — Oh ! si c’est Rudolphe qui a pris la peine de vous instruire, dit Annette, il a dû vous en débiter de rudes sur ma maîtresse et sa famille, la chose est certaine. Rudolphe est un de ces prudents personnages qui déprécient les choses qu’ils ont envie d’acheter, et leur trouvent des défauts pour détourner les autres acheteurs. Oui, il vous aura conté une belle histoire de lutin, j’en réponds, sur la grand’mère de madame ; et la vérité est que certaines circonstances de sa fatale aventure ont pu, j’ose le dire, donner à vos yeux une espèce de vraisemblance à… — Non, Annette, répondit Arthur ; tout ce qu’on a pu me dire d’étrange et d’extraordinaire sur votre maîtresse, je l’ai négligé comme incroyable. — Pas tout-à-fait comme vous le dites, je gage, interrompit Annette sans faire attention aux signes ni aux clignements d’yeux. Je soupçonne fortement que j’aurais eu beaucoup plus de peine à vous attirer ici, dans ce château, si vous aviez su que vous approchiez d’un lieu qu’habita la nymphe du feu, la Salamandre, comme ils l’appellent, pour ne pas parler du coup que vous pouviez recevoir, en revoyant la descendante de cette vierge au manteau ardent. — Paix, encore une fois, Annette ! dit sa maîtresse ; puisque le destin a amené cette entrevue, ne négligeons pas