Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/30

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souvent lieu dans ces régions sauvages, où elles se montrent sous une forme si redoutable, que la terre avait glissé, ou même était tombée tout-à-fait du haut des rocs, emportant après elle et le sentier qui était tracé au faîte de la plate-forme, et les broussailles, les arbres, enfin tout ce qui poussait dans le lit du torrent : car ils purent alors reconnaître que telle était l’eau au dessous d’eux, et non un lac ni un bras du lac, comme ils l’avaient jusqu’alors supposé.

La cause immédiate de ce phénomène devait probablement avoir été un tremblement de terre, car ils sont assez fréquents dans cette contrée. La jetée de terre, qui n’était plus qu’une masse confuse de ruines entraînées dans la chute, montrait quelques arbres poussant dans une position horizontale, et d’autres qui, après s’être fichés en terre par la tête dans leur descente, avaient été mis en pièces et brisés, et gisaient au milieu du torrent, jouets de l’onde qu’ils avaient autrefois couverte d’un épais ombrage. Le rocher nu, qui restait par derrière comme le squelette de quelque monstre énorme dépouillé de ses chairs, formait la muraille d’un effroyable abîme, ressemblant à une carrière récemment ouverte, d’un aspect d’autant plus triste, que sa formation peu ancienne le rendait plus stérile, et qu’il n’était encore nullement recouvert de cette végétation dont la nature revêt promptement la surface nue même des rocs et des précipices les plus arides.

Outre qu’il remarqua tous ces signes tendant à montrer que l’interruption de la route était de date récente, Arthur put encore observer de l’autre côté de la rivière, assez haut dans la vallée, et s’élevant du milieu d’une forêt de pins entremêlés de rochers, un bâtiment carré d’une hauteur considérable, ressemblant à une tour gothique en ruine. Il montra du doigt cet objet remarquable à Antonio, et lui demanda s’il le connaissait, pensant avec raison que cette tour, d’après sa position toute particulière, était fort propre à faire reconnaître le chemin, et qu’il était difficile de l’oublier quand on l’avait vue une fois. En conséquence le guide se reconnut promptement et avec joie, s’écriant avec transport que l’endroit s’appelait Geierstein, c’est-à-dire, comme il l’expliqua, le rocher des Vautours. Il n’en pouvait douter, disait-il, en voyant la tour aussi bien qu’une haute pointe de rocher qui s’élevait à côté presque en forme de clocher, au faîte de laquelle le lammer-geier, un des plus grands oiseaux de proie qui existent, avait jadis transporté l’enfant d’un ancien seigneur du château. Il se mit alors à raconter le vœu fait par le chevalier de Geierstein à Notre-Dame