Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/292

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vous n’avez plus guère eu que du dédain, du mépris, de la haine même pour tous les hommes qu’auparavant vous enduriez assez bien. — Bon, bon, dit Anne, je finirai par te détester et te haïr plus qu’aucun d’eux, si tu ne termines pas vite tes sornettes. — Doucement, noble dame, qui va au pas, va loin. Tout ce dépit prouve que vous aimez le jeune homme ; et permettez-moi de vous dire qu’on aurait grand tort de trouver rien d’étonnant à une pareille chose. Il y a beaucoup pour vous justifier, et rien que je sache contre vous. — Comment, jeune folle ? Rappelle-toi donc que ma naissance me défend d’aimer un homme sans nom… ma condition, d’aimer un homme pauvre… et l’ordre de mon père, d’aimer un homme qui rechercherait ma main sans son assentiment… surtout, mon orgueil de femme me défend de placer mes affections sur un homme qui ne s’inquiète pas de moi… qui peut-être même est mal prévenu contre moi par les apparences. — Voilà une belle homélie ! dit Annette ; mais je puis en combattre tous les points, aussi aisément que père François explique un texte dans un sermon de dimanche. Votre naissance est un vain rêve que vous n’avez appris à estimer que depuis ces deux ou trois jours, parce que, une fois le pied sur le sol allemand, quelques brins de cette vieille herbe germanique, communément appelée orgueil de famille, ont commencé à germer dans votre cœur ; pensez encore sur cette folie comme vous y pensiez à Geierstein, c’est-à-dire pendant toute la partie raisonnable de votre vie, et ce préjugé si grand, si terrible, se réduira à rien. Par condition, vous entendez sans doute fortune ; mais le père de Philipson, qui est le plus libéral des hommes, donnera assurément à son fils assez de sequins pour acquérir une ferme sur les montagnes. Vous aurez du bois de chauffage à couper, des terres à cultiver, puisque vous avez un droit incontestable à une partie de Geierstein, et que votre oncle s’estimera certainement heureux de vous en mettre en possession. Vous savez arranger une laiterie ; Arthur sait tirer, chasser, pêcher, labourer, herser et moissonner. »

Anne de Geierstein secoua la tête, comme doutant beaucoup de l’habileté de son amant dans les genres de travaux que la soubrette avait énumérés.

« Bien, bien !… alors il apprendra, reprit Annette Veilchen ; seulement vous aurez un peu plus de peine les premières années. D’ailleurs Sigismond Biederman l’aidera volontiers, car il est un vrai cheval de charrue ; et j’en connais encore un autre qui est