Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/284

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de bonne volonté, il pouvait s’en faire un protecteur dans le cas où son guide ne serait qu’un traître. D’ailleurs il avait à se réjouir d’avoir vu son père s’éloigner sain et sauf du lieu où ils avaient raison de craindre qu’un danger ne les attendît. Il résolut donc de ne pas se reposer à Kirch-Hoff, mais de poursuivre son chemin aussi vite que possible vers Strasbourg, et de s’arrêter, quand l’obscurité le forcerait à faire halte, dans un de ces villages qui étaient situés sur la rive allemande du Rhin. Il se flattait, une fois arrivé à Strasbourg (car la jeunesse ne doute de rien), de pouvoir aisément rejoindre son père ; et s’il ne parvenait à bannir toute inquiétude à propos de leur séparation, il entretenait avec amour l’espérance de l’y rencontrer sain et sauf. Après avoir permis à son cheval de manger une mesure d’avoine et de se reposer un peu, il ne perdit pas de temps pour continuer son voyage le long du large fleuve.

Il se trouvait alors sur la rive la plus intéressante du Rhin, car de ce côté le fleuve est comme défendu et emprisonné par les montagnes les plus romantiques, tantôt revêtues d’une végétation aux riches couleurs, diversifiée par les mille teintes de l’automne ; tantôt surmontées de forteresses qui déployaient au dessus de leurs portes les bannières des orgueilleux possesseurs ou parsemées de hameaux où la fertilité du sol procurait au pauvre laboureur une nourriture dont la main oppressive de son seigneur menaçait toujours de le priver. Chaque ruisseau qui dans cette partie porte au Rhin le tribut de ses eaux, serpente au fond de la vallée dont il est le souverain, et toutes les vallées possèdent un caractère différent et varié, les unes riches de pâturages, de champs à blé et de vignobles, les autres effrayantes par leurs rocs, leurs précipices et leurs beautés pittoresques.

Les principes du goût n’avaient pas encore été expliqués ou analysés comme ils l’ont été depuis dans des contrées où l’on a trouvé le temps de se livrer à cette investigation. Mais les sentiments que produit la vue d’un paysage aussi riche que celui qui se déployait sur la vallée du Rhin, doivent avoir été les mêmes dans tous les cœurs depuis l’époque où notre Anglais poursuivit sa route solitaire le long du fleuve, en butte à l’inquiétude et au danger, jusqu’à celle où Childe-Harold indigné fit entendre en ces lieux enchanteurs un superbe adieu à sa terre natale, pour aller chercher en vain un pays où son cœur pût battre avec moins de violence.

Arthur jouissait de cette scène, quoique le jour faiblissant commençât à lui rappeler que, seul et voyageant avec un objet d’une