Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/279

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mes anciens jours, je me suis déjà trouvé en un péril aussi imminent qu’aujourd’hui, et que je n’ai jamais reculé pour sauver ma vie. Des cordes et des poignards ne sont guère propres à effrayer ceux qui ont vu des épées et des lances. Ma réponse à l’accusation est que je suis Anglais, que j’appartiens à cette nation qui est accoutumée à rendre et à recevoir justice, une justice égale pour tous, à la lumière du plein jour. Je suis voyageur, cependant, et je sais ne pas avoir le droit de m’opposer aux règles et aux lois des autres nations parce qu’elles ne ressemblent pas aux lois et aux règles de la mienne. Mais cette précaution ne doit être nécessaire que dans les pays où le système dont nous parlons est en pleine force et vigueur. Si, lorsque nous sommes en France ou en Espagne, la conversation vient à tomber sur les institutions de l’Allemagne, nous pouvons bien, sans faire injure au pays où elles sont établies, les discuter comme il nous plaît, de même que des écoliers dissertent sur une thèse de logique dans une université. L’accusateur m’objecte qu’à Turin ou ailleurs, dans le nord de l’Italie, j’ai critiqué l’institution d’après laquelle je suis maintenant jugé. Je ne nierai pas qu’il m’en reste un vague souvenir ; mais si j’ai parlé, c’est qu’il me fallut indispensablement répondre à une question qui me fut adressée par deux hôtes que le hasard avait placés à ma table. Ils eurent besoin de me solliciter vivement et long-temps avant que je consentisse à émettre mon opinion. — Et cette opinion, dit le juge-président, était-elle favorable ou non au tribunal secret de la sainte vèhme ? Que la vérité dirige votre langue, songez-y bien, la vie est courte, le jugement est éternel. — Il me répugnerait de sauver ma vie par un mensonge. Mon opinion fut défavorable, et je m’exprimai ainsi : « Aucune loi, aucune procédure ne peut être juste ni louable, quand elle n’existe et n’opère qu’au moyen d’une ligue secrète. J’ajoutai que la justice ne pouvait vivre, subsister qu’en plein air, et que, quand elle cessait d’être publique, elle dégénérait en vengeance et en haine. Je soutins encore qu’un système dont votre propre jurisconsulte a dit : « Non socer a genero, non hospes ab hospite tutus[1], » était trop contraire aux lois de la nature pour être conforme à celles de la religion. »

Ces paroles étaient à peine prononcées qu’il s’éleva un murmure général sur le banc des juges contre le prisonnier. « Il blasphème contre la sainte cour, » s’écria-t-on de toutes parts ; « que sa bouche soit fermée à jamais ! — Écoutez-moi, dit l’Anglais, comme

  1. Un frère n’est pas en sûreté avec son frère, ni l’hôte avec son hôte. a. m.