Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/259

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La table ne fut pas plus tôt prête que les hôtes affamés se hâtèrent de prendre place à l’entour. À cette occasion, les dormeurs furent éveillés, les joueurs abandonnèrent leurs dés, les fainéants et les politiques interrompirent leurs savants débats, pour venir prendre part au souper, et se préparer à remplir leurs rôles dans l’intéressante cérémonie qui semblait devoir bientôt commencer. Mais il y a beaucoup de distance entre la coupe et les lèvres, et parfois il n’y a pas moins d’intervalle entre l’action de mettre la nappe et celle de placer les mets sur la table. Les hôtes étaient assis en bon ordre avec leurs couteaux ouverts, menaçant déjà les mets qui étaient encore soumis aux opérations du cuisinier. Ils avaient attendu avec différents degrés d’impatience tout une demi-heure, lorsqu’enfin le vieux domestique, si souvent mentionné, entra avec une cruche d’un vin léger de la Moselle, si aigre et si sûr que Philipson replaça promptement sa coupe sur la table, et que cependant il eut toutes les dents agacées par la petite quantité qu’il en avait bue. L’hôte, John Mengs, qui avait pris au bout de la table un siège un peu plus élevé que les autres, ne manqua point de remarquer cet acte d’insubordination et de le censurer sur-le-champ.

« Vous ne trouvez pas le vin bon, je crois, mon maître ? dit-il à l’Anglais. — Comme vin, non, répondit Philipson ; mais si je voyais sur la table un mets qui demandât une pareille sauce, je le trouverais excellent comme vinaigre. »

Cette plaisanterie, quoique dite de la manière la plus calme et la plus mesurée, sembla rendre l’hôtelier furieux. — Qui êtes-vous, s’écria-t-il, colporteur étranger, pour avoir l’impudence de dénigrer ainsi mon vin, qui a plu à tant de princes, de ducs, de ducs-régnants, de margraves, de rhingraves, de comtes, de barons et de chevaliers de l’Empire, dont vous êtes absolument indigne de décrotter les souliers ? N’est-ce pas de ce vin que le comte palatin de Nimmersalt avala six pintes avant de quitter la bienheureuse chaise où je suis maintenant assis ? — Je n’en doute pas, mon cher hôte, répliqua Philipson ; et jamais il ne me viendrait à l’idée de critiquer l’intempérance de votre honorable convive, quand même il aurait bu deux fois davantage. — Silence, mauvais plaisant ! repartit l’hôte, faites-moi à l’instant même vos excuses, à moi et au vin que vous avez si méchamment calomnié, ou je vais commander qu’on retarde le souper jusqu’à minuit. »

Il y eut alors une alarme générale parmi les hôtes, tous jurant