Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/256

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dans toute sa personne. Court, vigoureux, les jambes torses et l’air important, il était sous ces rapports semblable à beaucoup de ses confrères dans tous les pays. Mais la physionomie et plus encore les manières de l’hôte différaient de celles du joyeux hôtelier de France et d’Angleterre, plus même que l’expérience de Philipson ne lui permettait de s’y attendre. Il connaissait trop bien les mœurs allemandes pour se flatter qu’il rencontrerait les qualités précieuses et le caractère serviable du maître d’une auberge française, où les manières plus brusques et plus franches d’un aubergiste anglais. Mais les hôteliers allemands qu’il avait vus jusqu’alors, quoique despotes sans doute et entichés des usages de leur pays, finissaient néanmoins, quand on leur accordait ces points, semblables alors à des tyrans dans leurs heures de gaîté, par traiter avec douceur les étrangers sur lesquels s’étendait leur puissance, et mitigeaient par de joviales plaisanteries la rigueur de leur pouvoir absolu. Mais le front de cet homme était comme une œuvre tragique, où l’on chercherait aussi inutilement des mots piquants et gais que dans le bréviaire d’un ermite. Ses réponses étaient courtes, brusques, repoussantes, accompagnées d’un air et d’un ton qui correspondaient à merveille avec le sens de ses paroles, comme on va s’en convaincre par le dialogue suivant qui s’établit entre l’hôte et notre voyageur :

« Mon cher hôte, » dit Philipson du ton le plus doux qu’il put prendre, « je suis fatigué et même un peu malade… puis-je vous demander une chambre particulière, avec une coupe de vin et quelque nourriture que je prendrai chez moi ? — Vous le pouvez, » répondit l’hôte, mais avec un regard singulièrement opposé à l’assentiment que ses paroles semblaient naturellement renfermer.

« Veuillez donc faire mettre le tout à ma disposition le plus tôt qu’il vous sera possible. — Doucement ! J’ai dit que vous pouviez demander ces choses-là, mais non que je vous les accordais. Si vous tenez à être servi différemment des autres, c’est dans une hôtellerie autre que la mienne qu’il vous faut aller. — Eh bien ! alors je me passerai de souper pour ce soir… même je m’estimerai heureux de payer un souper que je n’aurai pas mangé, s’il vous plaît de me procurer un appartement séparé. — Seigneur voyageur, tout le monde ici doit être aussi bien traité que vous, puisque tous payent autant : ceux qui viennent dans cette auberge doivent manger comme mangent les autres, boire comme ils boivent, s’asseoir à table avec le reste de mes hôtes, et aller se coucher