Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/148

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le salon féodal. Soudain l’on entendit le pas d’une personne qui montait l’escalier avec précipitation, comme poussée par la crainte ; la porte de la salle s’ouvrit violemment, et Caspord, palefrenier en chef des écuries du baron, ou premier écuyer, l’air stupide d’épouvante, vint presque tomber aux pieds de la table devant laquelle son seigneur était assis, en poussant l’exclamation suivante :

« Monseigneur, monseigneur, il y a un diable dans l’écurie ! — Que veut dire cette folie ? » s’écria le baron en se levant, surpris et mécontent d’une interruption si extraordinaire.

« Je veux encourir votre colère, reprit Caspord, si je ne dis pas la vérité. Apollyon… »

À ces mots il s’arrêta.

« Parle donc, poltron stupide, dit le baron ; mon cheval est-il malade ? s’est-il blessé ? »

« Le chef des écuries ne put encore que prononcer ce mot « Apollyon. »

« Parle, » reprit encore le baron ; « quand même Apollyon serait là présent en personne, il n’y aurait pas de quoi effrayer un homme courageux. — Le diable, répliqua le premier écuyer, est dans l’écurie d’Apollyon. — Fou ! » s’écria le seigneur saisissant une des torches suspendues à la muraille ; « qu’est-ce qui a pu te faire tourner la tête d’une si ridicule façon ? Des êtres comme toi, qui sont nés pour nous servir, devraient tenir leur cerveau en meilleur état, pour nous, au moins, si ce n’était pas pour eux-mêmes. »

« Tout en parlant ainsi, il traversait la cour du château, et allait visiter la magnifique rangée d’écuries qui occupait toute la partie inférieure d’un côté du quadrangle. Il entra dans une vaste pièce où cinquante beaux coursiers étaient alignés le long des deux murailles. À côté de chaque stalle étaient suspendues les armes offensives et défensives d’un homme d’armes, aussi brillantes qu’elles pouvaient l’être par un entretien constant, avec la cotte de buffle que les guerriers portaient en dessous. Le baron, suivi de deux ou trois domestiques qui s’étaient rassemblés pleins d’étonnement à cette alarme imprévue, parcourut rapidement les deux rangs de chevaux. Lorsqu’il approcha de la stalle de son coursier favori, qui était au bout de la rangée de droite, le bel animal ne hennit pas, ne remua point la tête, ne frappa point du pied, enfin ne témoigna aucun signe de joie, contre son ordinaire, à l’approche de son maître : un faible gémissement, par lequel il semblait implorer assis-