Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/132

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vez qu’à dire un mot ; et loin de vous presser de m’accorder à moi personnellement votre confiance, quoique j’espère ne pas m’être rendu indigne, je vous autoriserai à nous quitter et à retourner tout de suite au château. »

Cette proposition toucha celui à qui elle était faite précisément à l’endroit sensible. Une demande péremptoire de sa confiance aurait été peut-être refusée ; mais le ton modéré et conciliant avec lequel cette requête fut adressée s’accordait alors avec les réflexions de l’Anglais.

« Capitaine, dit-il, je sens que je dois vous rapporter ce que j’ai vu cette nuit : la première fois, mon devoir n’exigeait pas que je le fisse, et maintenant que j’ai aperçu de nouveau la même apparition, je suis resté quelques minutes tellement surpris de ce qu’ont vu mes yeux, que j’ai encore de la peine à trouver des paroles pour m’exprimer. — Comme je ne puis deviner ce que vous avez à dire, répliqua le Bernois, je vous prierai d’être plus clair. Nous ne sommes que de méchants devineurs d’énigmes, nous autres Suisses à tête dure. — C’est pourtant une énigme que je vais vous soumettre, Rudolphe Donnerhugel, répliqua l’Anglais, et une énigme dont je suis moi-même loin de pouvoir découvrir le sens. » Il continua alors, quoique non sans hésiter : « Tandis que vous faisiez votre première patrouille dans les ruines, une femme venant du château a traversé le pont, a passé devant moi sans me dire un seul mot, et s’est évanouie dans l’obscurité de la forêt. — Ah ! » s’écria Donnerhugel ; et il ne fit pas d’autre réponse.

Arthur reprit : « Il n’y a pas encore cinq minutes que la même forme de femme est passée une seconde fois devant moi, sortant du petit buisson et du groupe d’arbres, et qu’elle a disparu sans m’avoir adressé la parole. Sachez encore que cette apparition avait la taille, la figure, la démarche et le costume de votre parente, Anne de Geierstein. — C’est assez singulier ! » dit Rudolphe d’un ton d’incrédulité ; « je ne dois pas, je pense, hésiter à vous croire, car vous regarderiez un doute de ma part comme une mortelle injure… telle est votre chevalerie du Nord ; cependant permettez-moi de vous dire que j’ai des yeux aussi bien que vous, et c’est à peine s’ils vous ont quitté d’une minute. Nous n’étions point à cinquante pas de l’endroit où je vous ai trouvé confus et ébahi ; comment donc aurions-nous pu ne pas voir aussi ce que vous dites et croyez avoir vu ? — Je ne puis vous répondre là-dessus : peut-être vos yeux n’étaient-ils pas absolument fixés sur moi durant le court espace de