Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/119

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mais qui sont aussi excellents à découvrir les embuscades, et un service de ce genre était réclamé de leur adresse dans le cas présent. Un de ces animaux était tenu en laisse par l’individu qui, formant l’avant-garde de la troupe, eut ordre de dépasser les autres d’une vingtaine de pas ; un second appartenait à Donnerhugel lui-même, qui s’en faisait obéir d’une manière étonnante. Trois de ses compagnons le suivaient de près, et les deux autres venaient ensuite, l’un d’eux portant le cornet suisse fait d’une corne de taureau sauvage. Cette petite troupe traversa le fossé sur le pont temporaire, et se dirigea vers la lisière de la forêt qui s’étendait non loin du château, et dont le taillis était très propre à cacher les embuscades que l’on pouvait avoir à craindre. La lune était levée et presque pleine, de sorte qu’Arthur, de la hauteur sur laquelle le château était situé, put suivre des yeux leur marche lente et circonspecte par un beau clair de lune argenté, jusqu’à ce qu’ils se fussent perdus dans les profondeurs de la forêt.

Lorsque cet objet eut cessé d’occuper ses yeux, il tourna ses pensées, tandis qu’il montait sa garde solitaire, vers Anne de Geierstein, et sur la singulière expression d’abattement et d’inquiétude qui avait obscurci ce soir-là ses beaux traits ; puis la rougeur qui avait chassé pour un moment la pâleur et la crainte de son charmant visage, à l’instant où leurs regards s’étaient rencontrés. Était-ce colère, était-ce modestie, était-ce quelque sentiment plus amical, plus doux que le premier, plus tendre que le second ? Le jeune Philipson, qui, semblable à l’écuyer de Bamer, était ingénu comme une fille, tremblait presque de donner à ce regard l’interprétation favorable qu’un galant moins modeste y aurait appliquée sans scrupule. Jamais les couleurs du jour naissant, ou du soleil à son déclin, ne parurent si belles aux yeux du jeune homme que cette rougeur dont il gardait le souvenir ; jamais non plus visionnaire enthousiaste, jamais rêveur poétique ne trouva dans les nuages tant de formes fantastiques qu’Arthur y chercha d’interprétations diverses aux marques d’intérêt qui étaient venues animer la belle physionomie de la jeune Helvétienne.

Cependant une idée soudaine le tira de sa rêverie ; c’était qu’il pouvait bien n’être pour rien dans la cause du trouble qu’elle avait manifesté. Il n’y avait pas long-temps qu’ils s’étaient rencontrés pour la première fois… ils devaient bientôt se quitter pour jamais ! Elle ne pouvait être pour lui rien de plus que le souvenir d’une belle vision, et il ne pouvait lui-même avoir part à ses souvenirs