Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/118

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Ils se rendirent ensemble en toute hâte à la porte où Sigismond abandonna très volontiers son arme et son poste au jeune Philipson, confirmant ainsi l’idée qu’on avait parfois conçue à son sujet, qu’il était le plus indolent et le moins actif de la famille de Geierstein. Rudolphe ne put cacher son mécontentement.

« Que dirait le landamman, lui demanda-t-il, s’il te voyait céder si tranquillement ton poste et ta pertuisane à un étranger ? — Il dirait que je fais bien, » répondit le jeune homme sans se troubler ; « car il ne cesse de nous rappeler qu’il faut laisser un étranger agir en toute chose suivant sa fantaisie ; et Arthur l’Anglais est en faction sur ce pont-levis de sa propre volonté, sans que je l’aie prié de monter à ma place… C’est pourquoi, mon cher Arthur, puisque vous préférez un air froid et un beau clair de lune à une paille bien sèche et à un profond sommeil, je vous souhaite le bonsoir de tout mon cœur. Écoutez la consigne. Vous devez arrêter tous ceux qui entrent ou qui essaient d’entrer, jusqu’à ce qu’ils donnent le mot d’ordre. S’ils sont étrangers, il faut donner l’alarme. Mais vous laisserez sortir ceux de nos amis qui vous sont connus, sans leur chercher chicane, parce que la députation peut avoir occasion d’envoyer des messages au dehors. — Que la peste t’enlève, vilain paresseux ! dit Rudolphe, tu es le seul fainéant de ta famille. — Alors, je suis le seul sage qu’on y compte, répliqua le jeune homme… Écoutez, brave capitaine, vous avez soupé ce soir, n’est-ce pas ? — C’est une preuve de sagesse, hibou, répondit le Bernois, de ne pas aller dans la forêt à jeun. — S’il y a sagesse à manger quand nous avons faim, répliqua Sigismond, il ne peut y avoir folie à dormir quand nous sommes fatigués. » En parlant ainsi, et après un ou deux bâillements effroyables, la sentinelle relevée se mit à boiter, autant pour le moins que l’exigeait l’entorse dont il se plaignait.

« Pourtant il y a vigueur dans ces membres mous, et valeur dans cette âme indolente et engourdie, » ajouta Rudolphe en parlant à l’Anglais. « Mais il est temps que moi, qui censure les autres, je songe aussi à remplir mon devoir… Holà ! ici, camarades de patrouille, ici ! »

Le Bernois accompagna ces mots d’un coup de sifflet qui fit sortir de l’intérieur six jeunes gens qu’il avait préalablement choisis, et qui, après un souper lestement fait, n’attendaient plus que ses ordres. Deux ou trois d’entre eux avaient de ces grands limiers qu’on emploie le plus ordinairement à poursuivre les bêtes fauves,