Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/116

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peut-être en Europe, et retirée dans une place forte, la personne même la plus timide de son sexe aurait éprouvé de la confiance ? Assurément si une attaque devait être tentée contre eux, le bruit d’un combat en pareille circonstance devait à peine être plus effrayant que le mugissement de ces cataractes qu’il l’avait vue mépriser. « Au moins, pensait-il, elle doit savoir qu’il existe un homme que l’amitié et la reconnaissance obligent à combattre jusqu’à la mort pour sa défense. Plût au ciel, » continua-t-il toujours rêvant, « qu’il me fût possible de lui faire comprendre, sans recourir au geste ni à la voix, ma résolution inébranlable de la protéger au péril de mes jours !… » Tandis que ces pensées se succédaient dans son esprit, Anne leva les yeux dans un de ces accès d’émotion profonde qui semblaient l’accabler, et pendant qu’elle les promenait autour de la salle, avec un air de crainte, comme si elle se fût attendue à voir parmi les compagnons bien connus de son voyage quelque apparition étrange et terrible, ils rencontrèrent le regard fixe et inquiet du jeune Philipson. Elle les abaissa aussitôt à terre, tandis qu’une vive rougeur montrait combien elle était fâchée d’avoir ainsi attiré l’attention par son air singulier.

Arthur de son côté, revenant à lui, ne rougit pas moins vivement que la jeune fille elle-même, et se plaça de manière à n’être pas vu d’elle. Mais quand Anne se leva et fut conduite par son oncle à sa chambre à coucher, comme nous l’avons déjà raconté, il sembla à Philipson qu’elle emportait avec elle toutes les lumières de l’appartement, et qu’elle le laissait dans l’obscurité mélancolique d’une chambre funéraire. Ses réflexions profondes poursuivaient leur cours sur le sujet qui l’occupait d’une manière si inquiétante, lorsque la voix mâle de Donnerhugel vint lui dire à l’oreille :

« Eh bien, camarade, le voyage d’aujourd’hui vous a-t-il tellement fatigué que vous dormiez debout ? — Le ciel me préserve, hauptman, » répondit l’Anglais sortant de sa rêverie, et appelant Rudolphe du nom que les jeunes gens de l’expédition lui avaient décerné d’un consentement unanime, ce qui signifie capitaine… « Le ciel me préserve de dormir, s’il est présumable qu’il y aura des coups à donner. — À quel poste vous proposez-vous d’être au chant du coq ? — À celui où mon devoir m’appellera, à celui que me désignera votre expérience, noble hauptman. Mais avec votre permission, je me proposais de relever Sigismond qui monte la garde sur le pont jusqu’à minuit ou jusqu’au chant du coq. Il se ressent encore de l’entorse qu’il s’est donnée en poursuivant ce mau-