Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/115

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façon satisfaisante. La fatigue pouvait avoir banni les roses du beau teint de la jeune fille, et la maladie ou la souffrance pouvait avoir obscurci ses yeux et rembruni son front ; mais l’air d’abattement complet avec lequel parfois elle fixait les yeux à terre, et le regard inquiet et terrifié qu’elle jetait autour d’elle en d’autres moments, devaient provenir d’une cause différente. La lassitude et la maladie ne pouvaient pas non plus expliquer la manière dont ses lèvres se contractaient et se comprimaient, comme celles d’une personne qui s’efforce de faire ou de regarder une chose horrible, ni rendre compte du tremblement qui venait peu à peu agiter parfois ses membres, quoique parfois elle fût capable de le surmonter par un violent effort. À ce changement extérieur si complet, il devait y avoir dans le cœur de la jeune fille une cause des plus mélancoliques et des plus affligeantes. Quelle pouvait être cette cause ?

Il est dangereux pour un jeune homme de contempler la beauté, dans la pompe de tous ses charmes, avec chacun de ses regards préparés à la conquête… plus dangereux de la voir dans les instants d’une aisance naïve et d’une simplicité sans affectation, s’abandonnant au gracieux caprice du moment, aussi désireuse de trouver les autres aimables que de le paraître elle-même. Il y a des esprits qui peuvent être plus vivement encore affectés en voyant la beauté dans la peine et en éprouvant cette pitié, ce désir de consoler la belle affligée, que le poète a décrit comme si proche voisin de l’amour. Mais pour une de ces âmes romanesques et aventureuses que le moyen âge produisit si souvent, la vue d’une personne jeune et aimable, évidemment plongée dans un état de terreur et de souffrance qui n’avait pas de cause visible, était encore plus séduisante que la beauté dans son éclat, dans sa simplicité, dans son chagrin. De tels sentiments, il faut se le rappeler, n’étaient pas réservés aux plus hautes classes seulement, mais pouvaient se trouver aussi dans tous les rangs de la société qui s’élevaient au dessus du simple artisan ou de l’homme de la campagne. Le jeune Philipson regarda Anne de Geierstein avec une curiosité si vive, mêlée de tant de compassion et de tendresse, que la scène bruyante qui l’entourait sembla s’évanouir pour ses yeux, et ne laisser dans la salle si bien remplie que lui-même et l’objet de son intérêt.

Quel pouvait donc être le chagrin qui l’oppressait si évidemment, qui troublait presque un esprit si solide, un courage si ferme, lorsque, défendue par les épées des hommes les plus braves qui fussent