Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/78

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cherchait un gué beaucoup plus haut ; car le ruisseau était considérablement grossi.

Pendant que j’étais arrêté afin qu’il pût me rejoindre, je remarquai, à peu de distance, un pêcheur qui prenait truites sur truites, presque aussitôt qu’il jetait la ligne ; et je l’avoue, en dépit du sermon de Josué sur l’humanité, il me fut impossible de ne pas porter envie à son adresse et à son succès, — tant est naturel à notre esprit l’amour des jeux, ou la grande facilité avec laquelle nous rapportons des succès obtenus dans de simples jeux, à des idées de plaisir et aux éloges dus à l’adresse et à l’agilité. Je reconnus bientôt dans cet heureux pêcheur le petit Benjie, qui avait été mon guide et mon maître dans cet art modeste, comme vous l’ont appris mes premières lettres. J’appelai, — je sifflai, — le polisson me reconnut, et, tressaillant comme s’il commettait un crime, il semblait hésiter s’il approcherait ou s’il prendrait la fuite. Enfin, lorsqu’il se détermina en faveur du premier parti, ce fut pour m’assaillir les oreilles d’un récit bruyant, fait à voix haute, et fort exagéré, sur les inquiétudes qu’avaient conçues tous les habitants de Shepherd’s Bush pour ma sûreté personnelle ; comme mon hôtesse avait pleuré, — comment Sam et le garçon d’écurie n’avaient pas eu le cœur d’aller se coucher, mais étaient restés toute la nuit à boire, — et comment lui-même s’était levé bien avant le jour pour me chercher.

« Et vous étiez là pour sonder l’eau, je suppose, lui dis-je, et tâcher de découvrir mon cadavre ? »

Cette observation lui fit lâcher un long « Non-on-on, » indiquant qu’il voyait sa ruse découverte. Mais, avec son impudence naturelle, et se fiant à mon trop bon caractère, il ajouta aussitôt un autre conte : « Il avait pensé que je serais bien aise d’avoir quelques truites fraîches à mon déjeuner, et l’eau se trouvant être favorable, il n’avait pu s’empêcher de jeter une ou deux fois la ligne. »

Tandis que j’étais engagé dans cette discussion, l’honnête quaker revint à l’autre bout du pont de bois me dire qu’il ne pouvait s’aventurer à passer le ruisseau dans l’état où il était, et qu’il se voyait dans la nécessité de faire le tour par le pont de pierre qui était à un mille et demi au-dessus de sa maison. Il allait me donner les explications nécessaires pour que je pusse continuer sans lui, et demander sa sœur, lorsque je lui proposai de confier son cheval au petit Benjie qui le ramènerait par le pont, tandis