Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/50

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Cette femme se mit à faire les préparatifs du souper. Elle étendit une nappe grossière, mais d’une blancheur remarquable, sur une large table de chêne ; elle y plaça des assiettes et du sel, et disposa le feu à recevoir un gril. J’observais ses mouvements en silence ; car elle ne faisait aucune attention à moi, et, comme elle avait l’extérieur fort peu prévenant, je ne me sentais pas disposé à entamer la conversation.

Lorsque cette duègne eut achevé tous les arrangements préliminaires, elle prit, dans le sac bien rempli que mon hôte avait suspendu à la porte, un ou deux saumons, ou grilses, comme on appelle ceux de la petite espèce, et, choisissant celui qui paraissait le meilleur, elle le coupa en tranches et en fit une grillade, dont le fumet savoureux opéra si puissamment sur moi, que je commençai à désirer vivement qu’il ne survînt aucun délai entre le plat et les lèvres.

Tandis que je me livrais à cette pensée, l’homme qui avait mené le cheval à l’écurie entra dans la chambre, et me montra un visage encore moins prévenant que celui de la vieille matrone qui remplissait avec tant de dextérité l’office de cuisinière. Il pouvait avoir soixante ans ; pourtant son front n’était guère couvert de rides ; ses cheveux d’un noir de jais commençaient à grisonner seulement, et non à blanchir de vieillesse. Tous ses mouvements dénotaient une vigueur encore entière ; et, quoique de taille moyenne, il avait des épaules très-larges. Il était taillé carrément, musculeux, et son corps semblait réunir force et activité ; cette dernière qualité se trouvait un peu ralentie peut-être par les années, mais la première était dans toute sa plénitude. Une physionomie dure et rude, — des yeux très-enfoncés sous de longs sourcils qui grisonnaient comme ses cheveux, — une large bouche munie, d’une oreille à l’autre, d’une rangée de dents régulières, d’une extrême blancheur, et d’une largeur digne des mâchoires d’un ogre, complétaient ce gracieux individu. Il était vêtu, comme les pêcheurs, d’une jaquette et d’une culotte de drap bleu, semblables à celles des marins ; il avait, comme un maître de navire hambourgeois, un étui à couteau passé dans un large ceinturon de buffle, qui semblait pouvoir, dans l’occasion, porter des armes d’une espèce encore plus dangereuse.

Cet homme me lança, en entrant dans la pièce, un regard curieux et sinistre, à ce qu’il me sembla ; mais, sans plus faire attention à moi, il s’occupa du soin d’arranger la table, que la