Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/44

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nent la chose plus tranquillement que les sangliers ; mais ils sont si légers dans leur élément propre, que les poursuivre et les percer n’est le fait que d’un bon cavalier, doué d’un œil vif et d’une main ferme, aussi sûr de son cheval que de son arme. Les cris de ces gaillards, tandis qu’ils galopaient dans tous les sens en se livrant à ce rude exercice, — leurs bruyants éclats de rire, quand l’un d’eux venait à tomber, — et leurs acclamations encore plus bruyantes, lorsque quelqu’un de la bande appliquait avec sa lance un coup de maître, — répandaient tant de vie sur ce tableau, que je m’enthousiasmai pour cet amusement, et m’aventurai fort loin dans les sables. Les exploits d’un pêcheur, surtout, attiraient si souvent les cris d’admiration de ses camarades, que les rives retentissaient au loin du bruit des applaudissements. C’était un homme grand, monté sur un fort cheval noir, qu’il faisait aller, venir, tourner comme un oiseau dans l’air ; cet homme tenait un épieu plus long que celui des autres, et portait une espèce de bonnet garni de fourrure, orné d’une petite plume, qui lui donnait au total un air de supériorité sur tous les pêcheurs. Il paraissait exercer une certaine autorité sur eux, et par occasion dirigeait leurs mouvements du geste et de la voix. Je trouvai que ses gestes étaient pleins de noblesse, et sa voix extraordinairement sonore et imposante.

Les cavaliers commencèrent à regagner la terre ferme, et l’intérêt de cette scène s’effaça peu à peu, tandis que j’errais à travers les sables, les yeux tournés vers les côtes d’Angleterre encore dorées par les derniers rayons du soleil, et qui me semblaient à peine éloignées d’un mille de moi. Les pensées inquiètes qui m’assiègent souvent s’emparèrent de mon imagination, et mes pas, insensiblement, se dirigèrent vers la rivière qui me séparait de la terre défendue, quoique sans aucune intention déterminée, lorsque je fus arrêté dans ma promenade par le bruit d’un cheval au galop ; et quand je me retournai, le cavalier, qui était ce pêcheur que j’avais déjà remarqué, me cria d’un ton brusque : « Holà, camarade, vous n’aurez pas le temps de passer à Brown ce soir : — la marée va monter. »

Je tournai la tête, et je le regardai sans répondre ; car son apparition subite, ou, comme je devrais plutôt dire, sa présence inattendue, à travers les ombres de plus en plus épaisses, avait quelque chose d’effrayant et de sinistre.