Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/402

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sont-elles accordées avec les préjugés tout contraires de mon oncle ?

— Elles se seraient accordées comme le feu et l’eau, si j’avais laissé voir mes opinions ; mais comme c’eût été m’exposer à des reproches ou à des insultes continuelles, et même à pis encore, j’ai pris grand soin de garder mon secret : de sorte que des censures pour ma froideur à l’égard de la bonne cause, étaient les pires désagréments que j’eusse à subir, et ils étaient bien suffisants.

— J’applaudis à votre prudence.

— Vous avez raison ; mais mon oncle me donna un si terrible échantillon de son caractère décidé, avant même que nous eussions fait connaissance pendant une semaine, que je compris bien quel risque je courrais en contredisant son humeur. Je vais vous conter la chose, car elle vous apprendra mieux à apprécier la nature romanesque et déterminée de son caractère, que tout ce qu’il me serait possible de vous dire sur sa témérité et son enthousiasme.

« J’avais été pendant de longues années au couvent. — Je fus à ma sortie placée chez une vieille dame écossaise de haut rang, fille d’un infortuné dont la tête avait été accrochée, en 1715, à Temple-Bar[1]. Elle vivait d’une petite rente que lui faisait la cour de France, et des gratifications que lui accordaient les Stuarts : la pension que je lui payais chaque année augmentait d’une manière satisfaisante son petit revenu. Elle n’était ni méchante ni très-avare ; — elle s’abstenait de me battre, et ne me laissait pas mourir de faim. — Mais elle était si complètement esclave du rang et des préjugés, si profondément versée dans la généalogie, et si amèrement aigrie dans ses opinions sur l’Angleterre, que je pensais parfois que les Hanovriens qui avaient assassiné son pauvre père, comme elle avait coutume de me dire, avaient eu grand tort de laisser sa pauvre chère fille sur la terre des vivants. Je fus donc charmée lorsque mon oncle arriva subitement, et annonça son intention de m’emmener en Angleterre. Ma joie extravagante, à l’idée de quitter lady Rachel Rougedragon, fut un peu abattue quand j’observai l’air mélancolique, les manières hautaines et le ton impérieux de mon proche parent ; il causa pourtant avec moi le long du chemin, plus qu’on ne l’aurait attendu de son caractère taciturne, et il parut vouloir sonder mes dispositions naturelles,

  1. On exposait alors les têtes des traîtres sur la porte de Temple Bar, à Londres. a. m.