Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/397

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Latimer lui annonça qu’il avait déjà entendu conter la tragique histoire de sir Albérick Redgauntlet.

« Alors, j’ai seulement besoin de vous dire, continua Lilias, que notre père et notre oncle éprouvèrent la rigueur de la sentence portée contre notre famille, dans toute l’étendue du mot. Ils possédaient l’un et l’autre des biens considérables qui s’étaient beaucoup accrus par le mariage de notre père, et tous deux étaient dévoués au service de la malheureuse maison des Stuarts ; mais, comme le supposait du moins notre mère, des considérations de famille auraient empêché son mari de prendre ouvertement part à l’affaire de 1745, si la haute influence que le frère cadet exerçait sur son aîné, par suite de l’énergie plus décidée de son caractère, ne l’eût pas entraîné avec lui dans cette entreprise.

Lors donc que la fatale issue de cette tentative eut coûté la vie à notre père, et obligé son frère à s’expatrier, lady Redgauntlet quitta le nord de l’Angleterre, déterminée à rompre toute liaison avec la famille de feu son mari, particulièrement avec notre oncle qu’elle regardait comme ayant été, par un fol enthousiasme politique, la cause de son veuvage prématuré. Alors aussi elle décida que vous, mon frère, qui étiez encore enfant, et moi qui venais de recevoir le jour, nous serions élevés de manière à chérir un jour la dynastie actuelle. Peut-être se hâta-t-elle trop de prendre cette résolution, — peut-être fut-elle trop timidement jalouse de cacher, s’il était possible, le lieu même où nous demeurions à un parent aussi proche que le frère unique de notre père. Mais il faut l’excuser en songeant à ce qu’elle avait souffert. Regardez, mon frère, » dit-elle en ôtant un de ses gants : « ces cinq marques de sang sur mon bras sont un signe par lequel la mystérieuse nature a empreint sur un enfant qui n’était pas encore né, un souvenir éclatant de la mort violente de son père et des souffrances de sa mère.

— Vous n’étiez donc pas née lorsque mon père mourut ?

— Hélas ! non. Vous-même, vous n’aviez qu’un an. Il ne faut donc pas s’étonner que ma mère, après avoir passé par ces scènes effrayantes, ait conçu des craintes si impérieuses pour le salut de ses enfants, — pour son fils en particulier ; d’autant plus que feu sir Henri son époux avait, en arrangeant les affaires au moment de mourir, confié la garde de la personne de ses enfants, aussi bien que les propriétés qui leur revenaient, indépendamment de celles qui furent comprises dans la confiscation,