Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/392

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aurait pu l’imaginer dans les songes les plus séduisants. Ce serait faire injure à Darsie de supposer que la pensée de s’être concilié les affections de la jeune fille plus facilement qu’il ne l’avait espéré, était le motif qui lui faisait estimer à une mince valeur un trésor si légèrement gagné : encore moins peut-on croire que sa passion momentanée avait joué autour de son cœur comme un faible rayon du soleil d’hiver dardant sur un glaçon, qu’il peut faire briller un instant mais qu’il ne saurait fondre. Latimer ne se trouvait précisément ni dans l’un ni dans l’autre de ces deux cas, quoiqu’une semblable légèreté de caractère pût avoir causé sur son changement quelque influence partielle.

La vérité est peut-être que le plaisir de l’amant, comme celui du chasseur, consiste dans la poursuite ; et que la plus ravissante beauté perd la moitié de ses attraits, comme la plus jolie fleur la moitié de son parfum, quand la main qui veut la cueillir peut trop aisément l’atteindre. — Il faut qu’il y ait doute, — qu’il y ait danger, — qu’il y ait difficulté. En effet, si le fleuve d’une affection ardente, comme dit le poète, ne coule jamais d’un cours paisible, c’est peut-être que, s’il ne rencontrait aucun obstacle, le véritable amour, le romanesque de la passion, pourrait à peine exister ; — pas plus qu’il ne pourrait y avoir de courants rapides dans une rivière, si elle n’était pas resserrée entre des rives étroites, si des rochers n’arrêtaient point ses eaux.

Que ceux pourtant qui contractent une union pour la vie sans ces embarras qui enchantent un Darsie Latimer ou une Lydia Languish[1], et qui sont peut-être nécessaires pour exciter une passion voisine de l’enthousiasme dans des cœurs froids et frivoles ; que ceux-là se gardent de mal augurer de leur bonheur futur, parce que leur alliance se forme sous des auspices plus calmes. Une estime mutuelle, une connaissances parfaite et réciproque du caractère de la personne avec laquelle on doit vivre, avantage qui s’obtient plus aisément quand on ne regarde pas, comme notre héros, à travers le brouillard d’une passion trop subite, — une convenance exacte de rang et de fortune, de goûts et de penchants, tous ces avantages se trouvent plus fréquemment dans un mariage de raison que dans une union qui suit un attachement romanesque. Dans ce dernier cas, en effet, l’imagination, qui a probablement créé les vertus et les perfections dont est comblé l’objet chéri, travaille souvent, comme à

  1. Personnage d’une comédie de Shéridan. a. m.