Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/39

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viction qu’il y avait peu de choses à voir dans le Nord, qui, me conduisant à la conclusion de votre père, quoique par des prémisses différentes, m’a fait porter mes pas dans la direction contraire, où peut-être je n’en verrai guère plus.

Il est une chose pourtant que j’y ai vue ; et ç’a été avec un plaisir presque indéfinissable ; mais, semblable au prophète mourant sur le sommet du mont Pisgah, je pouvais promener mes regards sur une terre qu’il était défendu à mes pieds de toucher. — J’ai vu, en un mot, les fertiles côtes de la joyeuse Angleterre, l’Angleterre où je me vante d’être né ! l’Angleterre que je contemple, même tandis que des flots irrités et des sables mouvants nous séparent, avec la tendresse d’un enfant respectueux.

Vous n’avez pas oublié, Alan, (car quand oubliâtes-vous jamais ce qui intéressait votre ami ?) que cette même lettre de mon ami Griffith, qui doublait mon revenu annuel et me rendait absolument libre de tous mes mouvements, contenait une clause prohibitive, par laquelle, sans motif énoncé, il m’était enjoint, si je tenais à ma sûreté présente et à ma fortune future, de ne pas visiter l’Angleterre : toute autre partie de l’empire britannique, et même un voyage sur le continent, si tel était mon désir, étant laissés à mon choix. — Où ai-je lu, Alan, cette histoire d’un plat couvert, servi au milieu d’un banquet royal, sur lequel les yeux de chaque convive furent immédiatement fixés, oubliant les mets délicieux dont la table était chargée ? Cette clause qui me défend d’entrer en Angleterre, mon pays natal, la terre des braves, des sages, des hommes libres, m’afflige plus que ne peuvent me réjouir la liberté et l’indépendance qu’on me laisse sous tout autre rapport. Aussi, en cherchant la frontière la plus rapprochée de la région qu’il m’est défendu de parcourir, ressemblé-je au pauvre cheval attaché à un piquet, qui broute toujours, comme vous pouvez l’avoir observé, sur la limite même du cercle dans lequel il est confiné par sa corde.

Ne m’accusez point d’être romanesque parce que j’obéis à l’impulsion qui m’entraîne vers le sud ; ne supposez pas que, pour contenter l’envie imaginaire d’une sotte curiosité, je sois en péril de risquer les véritables douceurs de ma condition présente. L’homme quel qu’il soit, qui a jusqu’à présent veillé sur ma conduite, m’a montré par des preuves convaincantes, plus fortes que toutes les assurances qu’on m’aurait pu donner, que mon avantage réel est son but principal. Je serais donc pire qu’un fou