Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/389

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Lilias, de son côté, tâcha de décider Darsie à faire honneur aux mets qu’elle lui offrait avec une politesse tendre et affectionnée, répondant bien à la chaleur d’intérêt qu’elle avait déployée au moment de leur rencontre, mais si naturelle vraiment, si innocente et si pure, qu’il aurait été impossible, même au fat le plus achevé, d’y voir de la coquetterie, ou un désir de captiver un trésor aussi précieux que son cœur. Darsie, avec cette dose bien raisonnable de bonne opinion de soi-même, ordinaire à la plupart des jeunes gens qui approchent de leur vingt et unième année, ne savait comment expliquer sa conduite.

Parfois il était tenté de croire que son propre mérite, durant les courts intervalles où ils s’étaient vus, lui avait tellement attiré l’affection d’une jeune personne, élevée probablement dans l’ignorance du monde et de ses usages, qu’elle ne pouvait déguiser l’état de son cœur. Parfois aussi, il soupçonnait que sa conduite lui était dictée par son tuteur, qui, sachant que lui Latimer, devait un jour posséder une fortune considérable, pouvait avoir imaginé ce moyen hardi pour amener un mariage entre une si proche parente et lui.

Mais aucune de ces suppositions n’était applicable au caractère des parties. Les manières de miss Lilias, quoique douces et naturelles, prouvaient, par leur aisance et leur mobilité, qu’elle connaissait parfaitement le ton du monde ; et, dans le peu de paroles qu’elle avait prononcées pendant le repas du matin, il y avait une finesse et un bon sens qui ne pouvait guère appartenir à une demoiselle capable de jouer le sot rôle d’amoureuse. Quant à Redgauntlet, avec son air imposant, son terrible sourcil, son œil fier et menaçant, il était impossible, pensait Darsie, de le soupçonner d’un projet dont le but unique était son intérêt particulier ; — il se serait aussi bien figuré Cassius dévalisant la poche de César au lieu d’enfoncer son poignard dans le sein du dictateur.

Tandis qu’il réfléchissait ainsi, sans pouvoir ni manger ni boire, ni répondre aux politesses de Lilias, elle cessa bientôt de lui parler, et garda le silence.

Il y avait déjà une heure environ que durait leur halte, lorsque Redgauntlet dit à haute voix : « Regardez un peu dehors, Cristal Nixon ; si nous ne recevons aucune nouvelle de Fairladies, il faut continuer notre voyage. »

Cristal s’avança jusqu’à la porte, et revint aussitôt dire à son maître, d’une voix aussi dure que sa physionomie : « Voilà Gil-