Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/34

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semblent aux miens, autant qu’un banc recouvert d’étoffe rouge et abondamment chargé de papiers de procédure, ressemble à un trône gothique enrichi d’or et de perles. Mais que voulez-vous ? — Trahit sua quemque voluptas[1] ; — et mes visions d’avancement, quoiqu’elles puissent n’être que vaines en ce moment, sont néanmoins plus propres à être réalisées, que vos désirs qui tendent Dieu sait à quoi. Que dit le proverbe de mon père : « Regardez attentivement une robe d’or, vous en aurez au moins une manche ? » Tel est mon but. Mais vous, Darsie, qu’espérez-vous ? que le mystère qui recouvre votre naissance et vos parents disparaîtra pour faire place à une clarté d’une splendeur inimaginable, et ce, sans aucun effort, sans aucune peine de votre part, mais purement par la bonne volonté de la fortune. Je connais l’orgueil et la malice de votre cœur, et je souhaiterais sincèrement que vous eussiez à me remercier de corrections plus sévères que celles dont vous gardez un souvenir si reconnaissant. Surtout si j’avais chassé de votre cerveau ces idées à la Don Quichotte, vous ne penseriez pas maintenant être le héros de quelque histoire romanesque ; vous n’auriez pas métamorphosé dans votre folle imagination l’honnête Griffiths, paisible banquier de la cité, ne disant jamais que l’indispensable dans ses épîtres trimestrielles, en un sage Alcandre ou un habile Alquif, protecteur mystérieux de votre destinée. Mais je ne sais point comment cela s’est fait, votre tête est sans doute devenue plus dure, et mes poings se sont amollis, puisque j’hésite à dire que vous avez montré une étincelle de je ne sais quoi de dangereux, qui m’a inspiré au moins du respect, sinon de la crainte.

Puisque je suis sur ce sujet, je veux vous engager à contenir un peu votre impétuosité. Je redoute fort que, comme un cheval emporté, elle ne vous entraîne dans quelque embarras dont vous auriez peine à vous tirer, si cette hardiesse qui vous a soutenu jusqu’à présent venait à vous manquer au besoin. Souvenez-vous, Darsie, que vous n’êtes pas d’un naturel courageux : nous sommes depuis long-temps convenus que, tout calme que je suis, j’ai l’avantage sur vous à cet égard. Mon courage consiste, je crois, en une vigueur de nerfs et une indifférence naturelle pour le danger qui, sans m’entraîner dans des aventures, me laisse le plein usage de ma raison, et tout mon sang-froid, quand arrive un danger réel. Le vôtre pourrait être

  1. Chacun suit son penchant. a. m.