Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/335

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« À mon avis, camarade, si vous êtes tellement scandalisé par un recueil d’histoires un peu gaillardes, qui, après tout, ne font de mal à personne, vous auriez mieux fait de me le donner que de le jeter dans la Solway.

— J’espère, monsieur, » répondit Fairford civilement, « que vous êtes dans l’habitude de lire des livres meilleurs ?

— Ma foi ! répliqua Nanty, si l’édition est de Genève, je pourrais lire mon Salluste aussi bien que vous-même ; » et, prenant le volume d’entre les mains d’Alan, il se mit à lire avec l’accent écossais : — « Igitur ex divitiis juventutem luxuria atque avaritia cum superbiâ invasere : rapere, consumere, sua parti pendere, aliena cupere ; pudorem, amicitiam, pudicitiam, divina atque humana omnia promiscua, nihil pensi neque moderati habere[1]. » — Voici un fameux soufflet donné en face à un honnête garçon qui a fait le flibustier ! « Ne pouvoir jamais conserver la moindre chose qui lui appartînt, ni tenir le bout de ses doigts à distance raisonnable des choses qui appartiennent à autrui ? » dites-vous. Fi ! fi ! ami Crispus, ta morale est aussi rude et aussi austère que ton style ; — l’une n’a pas plus d’indulgence que l’autre n’a de grâce. Sur mon âme ! il n’est pas poli de lancer des personnalités contre une vieille connaissance qui cherche à se rapprocher civilement de vous, après une séparation de vingt années. Par Dieu ! maître Salluste mérite d’aller dire bon jour à la Solway mieux que la mère Minuit elle-même.

— Peut-être sous quelques rapports mérite-t-il il un meilleur traitement de notre part, répliqua Alan ; car, s’il a décrit le vice dans toute sa laideur, il semble que ce soit dans l’intention de le faire détester.

— Hé bien ! j’ai entendu parler des Sortes Virgilianœ, et j’ose dire que les Sortes Sallustianœ sont aussi vrais à tous les titres. J’ai consulté l’honnête Crispus pour mon propre compte, et j’ai reçu une taloche pour ma peine. Mais voyons maintenant, j’ouvre le livre pour vous, et je vais regarder ce qui s’offrira tout d’abord à mes yeux. — Attention ! — « Catilina… omnium flagitiosorum atque facinorosorum circum se catervas habebat. » Et ensuite : — Etiam si quis à culpâ vacuus in amicitiam ejus inciderat, quoti-

  1. Aussi, après les richesses, le luxe et la cupidité, avec l’orgueil s’emparèrent de la jeunesse romaine ; piller, dissiper, faire peu de cas de ses biens, convoiter ceux d’autrui ; oublier honneur, amitié, pudeur, enfin toutes choses divines et humaines et ne plus connaître ni frein ni loi, telle fut la conduite générale. a. m.