Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/332

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l’avons pas tout à fait mal employé. Il est vrai, je n’ai pas bien entendu le prédicateur : — c’est un froid moraliste qui a parlé, je m’en doute ; — mais la prière, oh ! — je m’en souviens comme si je l’avais lue moi-même. » Là, il récita une ou deux oraisons qui faisaient probablement partie de ses prières de famille, lorsqu’il fut dérangé par ce qu’il appelait une suite d’affaires. « Je ne me souviens pas, reprit-il, d’avoir de ma vie passé si bien un jour de sabbat. » — Alors il se recueillit un peu, et dit à Alan : « Vous pouvez tout de même lire ce livre demain, monsieur Fairford, quoique demain soit lundi ; car, voyez-vous, c’est samedi que nous avons fait connaissance : c’est aujourd’hui dimanche ; et nous voilà à la nuit ; le jour du sabbat nous a donc glissé à travers les doigts, comme l’eau à travers un tamis, pour ne plus revenir ; et il nous faut recommencer dès demain des occupations fatigantes, basses, viles, terrestres, qui sont indignes d’une âme immortelle — toujours excepté par suite d’affaires. »

Trois des matelots retournaient alors à la ville, et, d’après l’ordre de Nanty, ils coupèrent court à l’exhortation du patriarche en le reconduisant à sa demeure. Le reste de la troupe se dirigea vers le brick, qui n’attendait plus que leur arrivée pour mettre à la voile et descendre la rivière. Nanty Ewart se plaça aussitôt au gouvernail, et le seul contact de la barre sembla dissiper le reste de l’influence de la liqueur qu’il avait bue : à travers ce canal dangereux et difficile, il sut diriger la course de son petit bâtiment avec autant d’habileté que de bonheur.

Alan Fairford profita quelque temps de l’éclat d’une matinée d’été, pour considérer les côtes entre lesquelles ils voguaient, devenant de moins en moins distinctes à mesure qu’elles s’éloignaient l’une de l’autre ; enfin se faisant un oreiller de son petit paquet, et s’enveloppant de la redingote dont l’avait muni le vieux Trumbull, il se coucha sur le tillac et essaya de ressaisir le sommeil d’où il avait été tiré peu auparavant. Il commençait à peine à fermer les yeux, lorsqu’il sentit quelque chose le toucher ; grâce à sa présence d’esprit, il se rappela aussitôt sa situation, et résolut de ne témoigner aucune inquiétude avant d’être bien certain des intentions qu’on pouvait avoir sur lui ; mais il fut bientôt délivré de crainte, en s’apercevant que c’était Nanty Ewart qui avait l’attention d’étendre sur son corps, aussi doucement que possible, un grand manteau de marin, pour le garantir de l’air froid de la matinée.