Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/303

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car je me suis laissé dire que vous aviez la gaillarde habitude de prendre un baiser au lieu d’une pièce de deux sous, si vous trouviez la pratique gentille.

— Allons, allons, prévôt, » interrompait la dame en se levant, « si la liqueur commence à vous échauffer la tête, il est temps que je me retire. — Veuillez passer dans mon appartement, messieurs, quand il vous faudra une tasse de thé. »

Alan Fairford ne fut pas fâché du départ de la dame. Elle semblait trop jalouse de l’honneur de la famille des Redgauntlet, quoique seulement cousine au quatrième degré, pour ne pas s’alarmer des questions qu’il se proposait de faire sur la résidence actuelle du chef de cette maison. Des soupçons étranges et confus s’éveillèrent dans son esprit, au souvenir imparfait de l’histoire racontée par Willie le voyageur, et l’idée qui se présenta à lui fut que Darsie Latimer pourrait bien être le fils de l’infortuné sir Henri. Mais, avant de s’abandonner à de telles conjectures, le principal était de découvrir ce que son ami était réellement devenu. S’il était entre les mains de son oncle, ne pourrait-il pas y avoir quelque rivalité de fortune ou de rang qui portât un homme aussi farouche que Redgauntlet à prendre des mesures rigoureuses contre un jeune homme qu’il ne pourrait plier à ses volontés ? Il examina ces conjectures en silence, tandis que les verres accomplissaient de nombreuses révolutions autour du bol de punch : il attendait toujours que le prévôt, comme celui-ci en avait fait lui-même la proposition, voulut bien entamer le sujet pour lequel il s’était surtout donné la peine de présenter le jeune avocat à M. Maxwell de Summertrees.

Apparemment le prévôt avait oublié sa promesse, ou du moins il ne se hâtait pas de la remplir. Il disserta avec beaucoup de chaleur sur la taxe du timbre qui était alors imposée aux colonies américaines, et sur d’autres questions politiques du jour, mais il ne lâchait pas un mot de Redgauntlet. Alan vit bientôt que, pour obtenir les renseignements qu’il désirait, il fallait mettre lui-même le sujet sur le tapis, et il se détermina à le faire.

Pour exécuter cette résolution, il saisit la première occasion que lui présenta une pause dans la discussion de la politique coloniale, pour dire : « Je dois vous rappeler, prévôt Crosbie, votre obligeante promesse de me procurer quelques informations sur l’affaire qui m’inquiète à si juste titre.

— Diable ! » répliqua le prévôt après un moment d’hésitation,