Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/299

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lement absorbé dans ses réflexions, que je ne pouvais lui faire remarquer ce que je faisais.

— Et pourquoi donc ? demanda Alan Fairford, qui commençait à s’intéresser à l’histoire.

— Parce qu’il se trouvait une malencontreuse bête de dragon tout près de nous, de chaque côté ; et si je l’avais mis dans la confidence, en parlant à Harry, il ne se serait point passé long-temps avant qu’une balle de pistolet eût traversé mon chapeau. — Je n’avais donc rien de mieux à faire qu’à songer à moi-même, et, sur ma conscience, il était bien temps, car j’avais le gibet devant les yeux. Nous fîmes halte pour déjeuner à Moflat. Je connaissais parfaitement les marais que nous traversions : car, à une époque bien différente, j’avais chassé avec chiens et faucon sur chaque arpent de terre de ce pays. J’attendis donc, vous comprenez, que nous fussions sur le versant des monts Errickstone. — Vous connaissez cet endroit, on l’appelle la Place aux Bœufs du Marquis, parce que nos coquins d’Annandale avaient coutume d’y amener les bestiaux qu’ils avaient volés. »

Fairford confessa son ignorance.

« Vous devez l’avoir vu en vous rendant ici : on dirait que quatre montagnes réunissent leurs têtes ensemble pour empêcher le jour de pénétrer dans l’espace creux qui les sépare. C’est un maudit abîme, un vilain trou profond et noir, qui commence au bord même de la route, et descend par la pente la plus perpendiculaire où jamais bruyères ont planté leurs racines. Au fond coule un petit filet d’eau que vous croiriez à peine pouvoir se frayer un passage pour sortir des montagnes qui le serrent si étroitement de tous les côtés.

— Triste endroit, en effet, dit Alan.

— Permis à vous de le dire, continua le laird ; mais, quelque mauvaise que fût la place, c’était mon seul espoir de salut ; et, quoique la chair de poule me vînt quand je songeais au terrible saut que j’allais faire, je ne perdis pas pourtant un instant courage. Au moment donc où nous arrivâmes au bord de la Place aux Bœufs, je retirai ma main du bracelet de fer, en criant à Redgauntlet : « Suis-moi ! » Aussitôt, je me glissai sous le ventre du cheval d’un dragon ; — je m’entortillai dans mon plaid ; — je me jetai à plat ventre, car il n’y avait pas moyen de se tenir sur ses pieds, et je roulai du haut en bas de la montagne par dessus bruyères, ronces et épines, comme un tonneau qui descend au fond