Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/271

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les dispositions réelles de la personne qui est devenue son prisonnier, — peut-être sa victime. Maintenant, néanmoins, que d’autres noms et d’autres personnagos vont figurer dans ce registre de mes pensées, je dois prendre un nouveau soin de ces papiers, et les tenir toujours près de moi, de manière qu’au moindre danger d’une découverte, je puisse les détruire en un clin d’œil. Je n’oublierai ni vite ni aisément la leçon que m’a donnée le penchant curieux de Cristal Nixon, agent et complice de cet homme, penchant qui se manifesta si audacieusement à Brokenburn, et devint la cause première de mes souffrances.

Le motif qui m’a fait quitter si brusquement la dernière feuille de mon journal était le son inaccoutumé d’un violon, dans la cour de la ferme, et sous mes fenêtres. Il ne paraîtra pas surprenant aux personnes qui ont étudié la musique, qu’après avoir entendu quelques notes seulement, j’aie été soudain convaincu que le joueur n’était personne autre que le ménétrier ambulant mentionné plus haut comme présent à la destruction des filets à pieux de Josué Geddes ; car telles étaient la délicatesse exquise et la force supérieure de son exécution, que j’aurais juré reconnaître son coup d’archet au milieu de tout un orchestre. J’eus d’autant moins raison d’en douter, qu’il joua deux fois le bel air écossais appelé Villie le voyageur ; et je ne pus m’empêcher de conclure qu’il avait l’intention de m’apprendre son arrivée, puisque cet air indique ce que les Français appellent le nom de guerre du musicien.

L’espérance s’accroche toujours au moindre rameau dans la dernière extrémité. Je savais que cet homme, quoique privé de la vue, était hardi, ingénieux, et parfaitement capable de servir de guide. Je crus avoir gagné sa bienveillance, en jouant le rôle de son camarade dans un moment de folie ; et je me rappelai que, dans une vie solitaire, errante et désordonnée, les hommes, se trouvant dégagés de tous les liens ordinaires de la société civile, regardent ceux de la camaraderie comme beaucoup plus sacrés, de sorte qu’on rencontre parfois de l’honneur chez les brigands, de la fidélité et de l’attachement chez les individus que la loi appelle vagabonds. L’histoire de Richard Cœur de Lion et de son ménestrel Blondel se présenta en même temps à mon esprit, quoique je ne pusse m’empêcher de sourire, en songeant à la noblesse de la comparaison ainsi appliquée à un joueur de violon aveugle et à moi-même. Encore y avait-il dans tout cela quelque chose