Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/257

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parut deviner ce qui se passait dans mon esprit ; car, lorsque je me tournai vers lui : « Ne doutez pas, dit-il, qu’elle ne soit empreinte sur votre front cette marque fatale de notre race, quoiqu’elle ne soit pas encore si apparente qu’elle le deviendra quand l’âge et le chagrin, les passions tumultueuses et l’amer repentir l’auront sillonnée de leurs rides.

— Homme mystérieux, répliquai-je, j’ignore de quoi vous parlez ; vos discours sont aussi obscurs que vos intentions.

— Alors asseyez-vous, et écoutez, reprit-il : à cet égard, du moins, doit disparaître le voile dont vous vous plaignez ; quand il sera tiré, il vous laissera voir des crimes et des chagrins, — des crimes suivis d’une étrange punition, et des chagrins que la Providence a infligés à la postérité des coupables.

Il s’arrêta un moment, et commença son récit avec l’air d’un homme qui, tout éloignés que fussent les événements qu’il racontait, y prenait encore l’intérêt le plus profond. Le ton de sa voix, que j’ai déjà décrite comme sonore et grave, ajoutait, par ses inflexions différentes, à l’effet de son histoire, que je vais tâcher de mettre par écrit, autant que possible, dans les propres termes dont il se servit.

« Ce n’est pas depuis peu d’années que nos voisins les Anglais ont appris que le meilleur moyen de vaincre leurs voisins indépendants était d’introduire parmi eux la division et la guerre civile. Je n’ai pas besoin de vous rappeler l’état d’esclavage auquel l’Écosse fut réduite par les malheureuses guerres qui eurent lieu entre les factions domestiques de Bruce et de Baliol ; ni comment, après que l’Écosse eut été soustraite au joug étranger par la conduite et la valeur de l’immortel Bruce, tous les fruits des triomphes de Bannockburn[1] furent perdus dans les affreuses défaites de Dupplin et d’Halidon. Édouard Baliol, favori et feudataire de son homonyme d’Angleterre, sembla pour quelques temps possesseur tranquille du trône si récemment occupé par le plus grand général et le plus sage prince de l’Europe. Mais l’expérience de Bruce n’était pas morte avec lui. Il restait bien des gens qui avaient partagé ses fatigues guerrières, et tous se rappelaient les heureux

  1. Le village de Bannockburn, où se fabrique aujourd’hui du tartan, espèce de drap bariolé, et fameux par une bataille livrée le 14 juillet 1314, entre cent mille Anglais sous les ordres du roi Édouard, et trente mille Écossais sous le commandement du roi Robert Bruce qui fut victorieux. Là se distinguèrent les templiers écossais, quatre mois après le supplice de Jacques de Molay dans l’endroit où est aujourd’hui la place Dauphine à Paris. a. m.