Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/223

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passer très-peu de jour et d’air, puisqu’on ne pouvait apercevoir autre chose à travers que la voûte azurée des cieux, encore fallait-il grimper sur une chaise. Il devait y avoir eu une porte particulière dans ce cabinet outre celle qui communiquait avec le salon, mais elle avait été récemment murée, comme je m’en aperçus en relevant une pièce de tapisserie qui couvrait la maçonnerie encore fraîche. Je trouvai là mes habits, mon linge et différents autres objets, aussi bien que mon nécessaire renfermant plumes, encre et papier, ce qui m’a mis à même, durant mes loisirs, et, Dieu le sait, on ne les trouble pas souvent, de faire cette relation de ma captivité. On doit bien penser néanmoins que je ne me fie guère à la sûreté que semble me promettre mon petit pupitre, mais que je porte sur moi les feuilles écrites, de sorte qu’on ne pourrait me les enlever que par violence. J’ai aussi la précaution de n’écrire que dans le petit cabinet, afin de pouvoir entendre les personnes qui passeraient par les deux autres pièces pour m’approcher, et d’avoir le temps de faire disparaître mon journal avant qu’on arrive près de moi.

Les domestiques, — un vigoureux paysan et une fort jolie fille qui m’a l’air d’une laitière, — par lesquels je suis servi, semblent appartenir à la vieille école de Jeanne et de Hodge[1], pensant peu, ne désirant rien au delà de la sphère très-limitée de leurs devoirs et de leurs jouissances, et exempts de toute curiosité sur les affaires des autres. Leur conduite envers moi en particulier est en même temps très-honnête et très-ennuyeuse, — ma table est abondamment servie, et on semble empressé à satisfaire mes goûts sous ce rapport. Mais aussitôt que je leur adresse une question autre que celle-ci : « Qu’ai-je pour dîner ? » la brute de paysan me jette au nez son « que me voulez-vous ? ou un : je ne sais pas ; » et si je le presse un peu trop, il me tourne le dos avec calme et sort de la chambre. La jeune fille voudrait paraître simple comme lui ; mais un rire espiègle qu’elle ne peut pas toujours réprimer semble prouver qu’elle comprend on ne peut mieux le rôle qu’elle joue, et qu’elle est décidée à me laisser dans l’ignorance. Tous deux, et la fillette en particulier, me traitent comme un enfant gâté ; ils ne me refusent jamais directement quand je leur demande une chose, mais ils se donnent bien garde de faire ensuite honneur à leur parole en satisfaisant ma demande. Ainsi quand je désire sortir, Dorcas me promet que je pourrai

  1. Interlocuteurs d’une pastorale anglaise. a. m.