Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/218

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une barrière suffisante pour me séparer à jamais de l’Angleterre et m’ôter tout espoir de la vie. Bientôt j’entendis non-seulement mugir ce torrent furieux, mais j’aperçus, à la clarté de la lune, les cimes écumeuses des vagues dévorantes qui s’avançaient avec la rapidité et la furie d’une bande de loups affamés.

La conviction qu’il ne me restait plus d’espérance, ni la moindre possibilité de me soustraire à mon sort, détruisit toute la fermeté qui m’avait jusqu’alors soutenu. Mes yeux se troublèrent ; — la crainte me jeta dans des vertiges et des éblouissements. — Je répondis par des plaintes et des hurlements à la mer plaintive et mugissante. Une ou deux grandes vagues atteignaient déjà le chariot, lorsque le chef, dont j’ai si souvent parlé, se retrouva comme par magie à côté de moi. Il s’élança de son cheval dans le chariot, coupa les liens qui me retenaient, et m’adjura, au nom du diable, de me lever et de monter en croupe.

Voyant que j’étais hors d’état de lui obéir, il me saisit comme si j’eusse été un enfant de six mois, me jeta en travers sur son cheval, et monta lui-même par derrière, me soutenant d’une main, tandis qu’il conduisait l’animal de l’autre. Dans cette posture gênante, où j’étais pourtant forcé de rester, je ne voyais pas le danger que nous courions ; mais il me semble que le cheval nagea un instant, et que ce fut avec peine que mon sombre et puissant sauveur me tint la tête hors de l’eau. Je me rappelle d’une façon particulière le choc que je ressentis, quand l’animal, s’efforçant de regagner le bord, se dressa en arrière, et faillit s’affaisser sous son fardeau. Le temps que je passai dans cette horrible situation n’excéda sans doute pas deux ou trois minutes ; mais elles furent si pleines d’horreur et d’agonie, qu’elles semblent à mon souvenir un espace beaucoup plus considérable de temps.

Lorsque j’eus été ainsi soustrait à une destruction certaine, j’eus seulement la force de dire à mon protecteur, — ou à mon oppresseur, (car il méritait bien ces deux titres) : « Vous n’avez donc pas l’intention de m’assassiner ? »

Il sourit en me répondant ; mais c’était une espèce de rire que je souhaite de ne jamais revoir. « Si j’avais formé un tel projet, ne croyez-vous pas que j’aurais laissé aux vagues le soin de l’exécuter ? Mais, songez-y, si le berger sauve ses brebis du torrent, — est-ce pour leur conserver la vie ? — Gardez le silence ; faites trêve de questions et de prières ! Il vous est aussi impossible de décou-