Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/217

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tirait ; la voiture avança alors d’un meilleur train, que les chevaux étaient forcés de maintenir à force de coups et de jurements. Néanmoins ces hommes habitaient dans le voisinage ; et j’avais de fortes raisons de croire que l’un d’eux au moins connaissait parfaitement tous les trous et toutes les ornières du chemin périlleux où nous étions engagés. Mais ils se trouvaient eux-mêmes en danger ; et on pouvait le présumer d’après leur conversation à voix basse, tandis qu’ils réunissaient leurs efforts pour faire marcher le chariot ; il n’était pas douteux que dans ce cas on m’abandonnerait comme fardeau inutile et embarrassant, et ce, dans une situation qui rendait toute tentative de salut impraticable. C’étaient de terribles inquiétudes ; mais il plut à la Providence de les augmenter encore à un point que mon cerveau était à peine capable d’y résister.

Comme nous approchions d’une ligne noire que je pouvais prendre dans l’obscurité pour la côte de la mer, nous entendîmes deux ou trois sons qui semblaient être l’écho d’armes à feu. Aussitôt tout fut en mouvement dans notre troupe pour accélérer la marche, et presque en même temps un drôle galopa vers nous, en criant : « Au secours ! au secours ! les requins de terre sont déjà partis de Burgh, et Allonby Tom perdra sa cargaison, si vous ne lui donnez un coup de main. »

À cette nouvelle, la plupart des gens qui m’accompagnaient parurent se diriger en toute hâte vers le rivage. On laissa un conducteur pour le chariot ; mais lorsque, après avoir manqué bien des fois de l’embourber, il eut enfoncé le chariot dans un trou profond au milieu des sables, le coquin coupa le harnais avec une imprécation, et partit avec les chevaux, dont j’entendis les pieds faire jaillir l’eau, tandis qu’ils galopaient à travers les mares et le sable mouillé.

Le bruit des décharges d’armes à feu continuait toujours, mais se perdait presque entièrement dans le fracas de la marée montante. Par un dernier effort de désespoir, je parvins à me lever dans le chariot et à me mettre sur mon séant ; mais je n’eus que l’avantage de mieux voir l’étendue de mon danger. Là était mon pays natal, — mon Angleterre, — le pays où j’étais né, et vers lequel mes vœux, depuis ma plus tendre enfance, s’étaient tournés avec tous les préjugés de l’orgueil national. — Il était là, à quelques cents pas de l’endroit où je me trouvais ; — et cet espace, — qu’un enfant aurait parcouru en une minute, — était encore