Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/209

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car le détroit est très-large ici, — on apercevait surgir de l’eau la ligne blanche des côtes de d’Angleterre, semblable à un de ces brouillards épais que contemplent parfois les marins, dit-on, sans savoir si c’est la terre ou une illusion atmosphérique.

« Nous ne serons pas troublés d’ici à quelques heures, dit Geddes : ils ne viendront pas nous assaillir avant que la marée soit assez basse pour permettre de détruire les filets. N’est-il pas étrange de penser que des passions humaines transformeront bientôt une scène aussi tranquille que celle-ci en une scène de dévastation et de confusion ? »

C’était en effet une scène d’une parfaite tranquillité, et même d’un calme si pur, que les vagues toujours agitées de la Solway semblaient, sinon absolument dormir, au moins sommeiller. — Sur la côte, aucun oiseau de nuit ne faisait entendre ses cris ; — le coq gardait encore le silence, et nous marchions nous-mêmes plus légèrement qu’en plein jour, de peur que le bruit de nos pas ne troublât le silence profond qui nous entourait. Enfin le cri plaintif d’un chien troubla ce silence, et de retour à la chaumière, nous y trouvâmes le plus jeune des trois animaux qui avaient suivi John Davies ; inaccoutumé peut-être à des courses lointaines, et mal instruit à suivre de près son maître, il s’était écarté de la petite troupe, et ne pouvant rejoindre les autres, il était revenu tant bien que mal au lieu de sa naissance.

« Faible renfort à notre faible garnison ! » dit M. Geddes en caressant le chien qu’il laissa entrer dans la chaumière. « Pauvre bête ! comme tu es incapable de faire aucun mal, j’espère qu’on ne t’en fera aucun. Du moins tu peux nous rendre les bons services d’une sentinelle, et nous permettre de jouir d’un paisible repos, dans la certitude que tu nous donneras l’alarme quand l’ennemi approchera. »

Il y avait dans la chambre de l’inspecteur deux lits sur lesquels nous nous jetâmes. M. Geddes, grâce à son heureuse égalité de caractère, s’endormit dans cinq minutes. Je restai quelque temps plongé dans de tristes et inquiétudes réflexions, regardant le feu et les mouvements du jeune chien qui remuait sans cesse, et qui, désorienté par l’absence de John Davies, se traînait du foyer à la porte, et de la porte au foyer, s’approchait du lit, et me léchait les mains et la figure ; enfin, voyant qu’on ne repoussait pas ses caresses, il s’établit à mes pieds, où il ne tarda pas à s’endormir, exemple que je suivis moi-même bientôt après.