Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/187

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de mon malheureux client, victime d’une justice différée et de cet espoir déçu qui brise le cœur. »

La force de cet appel aux sentiments produisit autant d’impression sur la cour qu’en avait produit auparavant la lucidité de l’argumentation d’Alan. Le personnage burlesque de Peebles avec sa perruque de filasse n’était heureusement point là pour exciter des émotions d’un genre comique, et l’instant de silence qui régna lorsque le jeune avocat eut terminé son discours, fut suivi d’un murmure d’approbation que les oreilles de son père recueillirent comme les plus doux sons qui y fussent jamais parvenus. Nombre de personnes vinrent serrer, en signe de félicitation, sa main d’abord tremblante d’inquiétude et ensuite de plaisir ; sa voix balbutiait, tandis qu’il répondait : « Oui, oui, je savais qu’Alan était capable de faire une cuiller ou de gâter une corne[1]. »

L’avocat de la partie adverse se leva. C’était un vieux praticien qui avait trop bien remarqué l’impression faite par le plaidoyer d’Alan, pour ne pas craindre les conséquences d’une décision immédiate. Il commença donc par adresser les compliments les plus flatteurs à son très-jeune confrère, — au Benjamin de la docte faculté, comme il se croyait autorisé à l’appeler. — Ensuite il soutint que les pertes que M. Peebles prétendait avoir éprouvées étaient bien compensées par la situation dans laquelle la bienveillance de Leurs Seigneuries l’avait placé, en lui accordant une assistance gratuite qu’il n’aurait pu obtenir autrement qu’à un prix élevé. Il avoua que son jeune confrère avait présenté plusieurs faits sous un point de vue si nouveau que, tout certain qu’il était de pouvoir aisément le réfuter, il désirait au moins avoir quelques heures pour préparer sa réponse, afin de pouvoir suivre M. Fairford de point en point. Il avait en outre à faire observer qu’il y avait dans la cause une circonstance à laquelle son confrère, dont l’attention s’était du reste si merveilleusement étendue sur l’ensemble, ne s’était pas arrêté suffisamment : — il s’agissait d’expliquer certaine correspondance qui avait eu lieu entre les parties, peu après la dissolution de la société.

La cour, après avoir entendu Me Tough, lui accorda aisément deux jours pour se préparer, lui donnant à entendre en même temps qu’il pourrait trouver sa tâche difficile, et laissant au jeune

  1. Make a spoon or spoil a horn, proverbe écossais qui revient à cette phrase Alan était le garçon capable de réussir ou de se perdre tout à fait. a. m.