Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/186

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« Leur association, » dit Alan, et ce petit à-propos lui valut quelques applaudissements, « ressemble à l’ancienne histoire du fruit qui fut coupé avec un couteau empoisonné d’un seul côté de la lame, de sorte que l’individu, à qui la portion envenimée fut servie, tomba malade, et mourut pour avoir mangé un aliment qui avait flatté le palais et soutenu la vie de l’autre. » Il s’enfonça alors hardiment dans le mare magnum des comptes entre les deux parties ; il attaqua tout règlement faux en opposant le brouillon au journal, le journal au livre des recettes, le livre des recettes au grand livre. Il présenta les interpolations artificieuses et les habiles insertions de l’astucieux Plainstanes, et fit voir qu’elles se combattaient les unes les autres, et contredisaient les faits. Profitant avec habileté des travaux préparatoires de son père, aussi bien que de ses propres connaissances en comptabilité, connaissances qu’on lui avait inculquées avec beaucoup de soin, il soumit à la cour un exposé clair et intelligible des affaires de la société, montra avec précision qu’il était dû pour balance à son client, lors de la dissolution, une somme suffisante pour le mettre à même de reprendre la maison de commerce à son compte, et de conserver ainsi la condition de négociant industrieux et indépendant qu’il occupait dans le monde. « Mais, au lieu, dit-il, de cette justice qui devait être volontairement rendue par l’ancien commis à son ancien patron, — par l’obligé à son bienfaiteur, — par un honnête homme à un autre, — mon malheureux client a été forcé de poursuivre son ex-commis, devenu son débiteur, de tribunaux en tribunaux ; il a vu opposer à ses justes réclamations des contre-réclamations malignes, mais dénuées de tout fondement ; — il a vu son adversaire changer son rôle de demandeur et de défendeur aussi souvent qu’Arlequin opère ses transformations, jusqu’à ce qu’enfin, dans une procédure si variée et si longue, l’infortuné plaideur ait perdu sa fortune, sa réputation et même presque l’usage de sa raison. Il est devenu, en présence de Vos Seigneuries, un objet de dérision insensée pour les gens irréfléchis, de compassion pour les cœurs sensibles, et de terrible méditation pour celui qui se dit que, même dans un pays où d’excellentes lois sont administrées par des magistrats droits et incorruptibles, un homme peut poursuivre un droit incontestable à travers un labyrinthe de procédures, perdre sa fortune, son honneur et sa raison, comme je l’ai déjà dit, et paraître devant la cour suprême de son pays dans la misérable situation