Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/183

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

John, mon ami ; — faites-le boire, — et retenez-le jusqu’à ce que la plaidoirie soit terminée.

— Il suffit, » répliqua Pierre Drudgeit, nullement fâché du rôle qu’il jouerait dans le service qui lui était demandé, « je remplirai votre commission. »

En conséquence, on vit bientôt le scribe murmurer à l’oreille de Pierre Peebles quelques mots qui lui valurent pour réponse les phrases entrecoupées que voici : —

« Quitter la cour pour une minute en ce grand jour de jugement ! — Non pas, per regiam majest…! — Eh quoi ! de l’eau-de-vie, dites-vous ? — de l’eau-de-vie de France ? — Ne pourriez-vous pas m’en apporter un verre sous votre habit, mon homme ? — Impossible ? Alors, si c’est absolument impossible, et si nous avons une bonne heure avant qu’on appelle la cause et qu’on lise l’assignation, je consens à traverser la place avec vous. — Il est sûr que j’ai besoin de prendre quelque chose pour me remettre le cœur un jour comme celui-ci mais je ne resterai qu’un instant, — pas plus d’une minute d’horloge, — le temps d’avaler un seul petit verre. »

On aperçut bientôt les deux Pierre traversant le clos du parlement, que la prétention moderne a décoré du nom de place ; Drudgeit conduisait en triomphe son prisonnier Peebles, qui se laissait emmener, en jetant de temps à autre un regard sur la cour. Ils s^enfoncèrent dans les abîmes cimmériens du café John[1], jadis rendez-vous favori du gai et classique docteur Pitcairn, et disparurent à tous les regards.

Délivré de cette espèce de bourreau, Alan Fairford eut le temps de recueillir ses idées, dont il avait presque perdu le fil dans l’irritation et le dépit du moment, et de se préparer à remplir une tâche où il savait qu’un triomphe, aussi bien qu’une défaite, aurait la plus grande influence sur son avenir. Il avait de l’amour-propre ; il était convaincu qu’il possédait un certain talent et l’ardent désir que témoignait son père de le voir débuter glorieusement le faisait redoubler d’efforts. Par-dessus tout il avait le sang-froid essentiel au succès de toute entreprise ardue, et il était entièrement libre de cette irritabilité fébrile par laquelle les gens dont l’imagination trop active exagère les difficultés se rendent incapables de les surmonter quand elles se présentent.

  1. Jurisconsulte écossais, qui était aussi médecin. a. m.