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LETTRE XIII.

ALAN FAIRFORD À DARSIE LATIMER.


Je vous écris à l’instant, selon votre désir, et dans une humeur tragi-comique ; car j’ai la larme à l’œil, et le sourire sur les lèvres. Très-cher Darsie, certainement jamais on ne fut aussi généreux que vous ; — certainement jamais on ne fut aussi absurde ! Je me rappelle que, pendant votre enfance, vous vouliez faire cadeau de votre beau fouet neuf à ma vieille tante Peggy, simplement parce qu’elle l’avait admiré ; et maintenant avec une libéralité non moins irréfléchie, non moins hors de propos, vous êtes tout disposé à céder votre bien-aimée à un jeune sophiste sec et enfumé, qui ne quitterait pas la moindre de ses occupations minutieuses pour toutes les filles d’Ève. Moi amoureux de votre Lilias ! — de votre Mante Verte, — de votre enchanteresse inconnue ! — Ma foi ! à peine l’ai-je vue cinq minutes, et même alors n’y avait-il que le bout de son menton qui fût distinctement visible. Elle avait bonne grâce, et ce bout de menton promettait beaucoup pour le reste de la figure. Mais grâce au ciel, elle venait pour affaire, et l’homme de loi qui deviendrait amoureux d’une jolie cliente, après une consultation, serait aussi sage que celui qui s’amouracherait d’un rayon de soleil, d’un éclat particulier qui viendrait à briller tout à coup sur sa perruque de palais. Je vous donne ma parole que mon cœur ne saigne nullement ; et, en outre, je vous assure qu’avant de souffrir qu’une femme vienne en prendre possession, il faudrait que j’eusse vu toute sa figure sans masque ni manteau, et que je connusse même beaucoup son esprit, par-dessus le marché. Ne vous effrayez donc pas à propos de moi, mon généreux et bon Darsie ; mais prenez garde à vous-même, et veillez à ce qu’un frivole attachement, conçu à la légère, ne vous entraîne point dans de sérieux dangers.

Je ressens une telle inquiétude à ce sujet, que, décoré maintenant des honneurs de la robe, j’aurais abandonné ma carrière dès les premiers pas pour venir à vous, si mon père n’était parvenu à me mettre les fers aux pieds en me chargeant d’une affaire relative à ma profession. Je vous conterai la chose au long, car