Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/159

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C’était un vrai défi, et je ne pouvais le refuser. D’ailleurs je voyais bien que dame Martin était la reine de la fête, et j’étais entouré de tant de figures sauvages et singulières, que je ne pouvais pas savoir si je n’aurais pas besoin de protection. Je saisis donc la main qu’elle brûlait de me donner, et nous prîmes nos places à la danse, où, si je ne déployai pas autant de grâce et de souplesse que je l’avais voulu faire auparavant, je répondis du moins à l’attente de ma danseuse, qui dit et jura presque que je n’avais point mon pareil, tandis qu’elle-même, excitée à redoubler d’efforts, sautait comme un chevreau, faisait claquer ses doigts comme des castagnettes, criait comme une bacchante, et bondissait sur le plancher comme une balle, — si bien que la couleur de ses jarretières n’était plus un mystère pour personne. Elle se souciait d’autant moins de les cacher, peut-être, qu’elles étaient bleu de ciel avec des franges d’argent.

Il fut un temps où toutes ces extravagances m’auraient fort amusé, ou plutôt la nuit dernière fut la seule fois depuis quatre ans où je me rappelle qu’elles ne m’amusèrent pas. En ce moment-ci, je ne saurais vous dire pourquoi je désirais si ardemment me débarrasser de dame Martin. Je souhaitais presque qu’elle se donnât une entorse à un de ces pieds agiles qu’elle éprouvait tant de plaisir à montrer ; et quand, au milieu de cette profusion de cabrioles, je vis ma première danseuse quitter l’appartement, les yeux, à ce qu’il me semblait, dirigés vers moi, le dégoût qui m’avait pris pour la danse s’accrut à un tel point que j’avais presque envie de feindre moi-même une entorse ou une foulure pour mettre un terme à mon ennui. Mais il y avait autour de moi des vingtaines de vieilles femmes qui toutes me semblaient devoir posséder un remède infaillible pour de tels accidents, et, me souvenant de Gil Blas et de sa prétendue maladie dans la caverne des voleurs, je jugeai qu’il était plus sage d’agir en galant homme avec dame Martin et de danser jusqu’à ce qu’elle trouvât bon de me congédier. J’exécutai courageusement cette résolution, et, dans les dernières figures que nous exécutâmes, je cabriolai aussi haut, je m’élevai aussi perpendiculairement que dame Martin elle-même ; et je reçus, je vous assure, un tonnerre d’applaudissements, car les gens du peuple préfèrent toujours à la grâce la vigueur et l’agilité. Enfin dame Martin ne put danser davantage : charmé de mon affranchissement, je la conduisis à sa place, et j’usai de mon privilège de danseur pour m’asseoir près d’elle.