Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/131

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lorsqu’il pouvait encore manier un cheval et courir après les pauvres montagnards qu’il parvenait à dépister. Certaines gens disaient que c’était de crainte que les whigs ne voulussent se venger, mais je pense moi que c’était simplement par habitude. — Il ne craignait personne. Le registre des fermages, avec sa couverture noire et ses fermoirs de cuivre, était devant lui, et un livre de chansons licencieuses était placé entre ces feuillets pour le tenir ouvert à l’endroit qui portait témoignage contre le bon homme de Primrose-Know, comme en arrière pour ses rentes et son loyer. Sir Robert lança à mon grand-père un regard tel, qu’il semblait vouloir lui arracher le cœur hors de l’estomac. Il vous faut savoir qu’il avait une manière telle de froncer les sourcils, qu’on distinguait parfaitement sur son front une marque profondément empreinte d’un fer à cheval, comme si on l’y eût imprimé.

« Êtes-vous venu les mains vides, fils d’une cornemuse ? demanda sir Robert. Corbleu ! si par malheur… »

Mon grand-père, faisant aussi bonne contenance que possible, avança un pied et plaça sur la table son sac d’argent avec le geste d’un homme qui croit faire adroitement une chose. Le laird le tira aussitôt à lui. « Tout y est-il, Steenie, mon homme ?

— Votre Honneur trouvera le compte juste, répondit mon grand-père.

— Ici, Dougal ! reprit le laird ; descendez donner à Steenie un verre d’eau-de-vie, pendant que je compte l’argent et que j’écris le reçu. »

Mais ils n’étaient pus plus tôt sortis tous deux de l’appartement, que sir Robert poussa un cri dont résonna tout le massif château. Dougal rentra en courant, — tous les valets arrivèrent, — le laird jetait cri sur cri, les uns toujours plus effrayants que les autres. Mon grand-père ne savait pas s’il devait rester ou s’enfuir, mais il s’aventura à rentrer dans le salon, où régnait un grand tumulte, — où il n’y avait personne qui pût dire « entrez » ou « sortez. » Le laird rugissait d’une horrible façon en demandant de l’eau froide pour ses pieds et du vin pour se rafraîchir le gosier ; et « enfer ! enfer ! enfer ! flammes d’enfer ! » étaient les seuls mots qu’il avait à la bouche. On lui apporta de l’eau ; mais quand on plongea ses pieds gonflés dans le baquet, il s’écria qu’elle le brûlait ; et certaines gens disent que réellement elle bouillait et débordait comme celle d’un chaudron placé sur un feu trop violent. Il jeta la coupe