Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/128

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

coup plus de cérémonie que n’en fait un montagnard à un chevreuil. — Voici tout ce qu’il disait : « Voulez-vous prêter serment ? — Non ? — Alors, attention ! — En joue ! — feu ! » et le rebelle restait sur place.

Sir Robert était haï et redouté au loin. On pensait qu’il avait directement fait un pacte avec le diable ; — qu’il était à l’épreuve de l’acier, — et que les balles glissaient sur son justaucorps de buffle, comme les grains de grêle sur un toit ; qu’il avait une jument qui se transformait en lièvre de l’autre côté de Carrifra-Gawns, et beaucoup d’autres choses encore dont je vous entretiendrai plus tard. La meilleure bénédiction qu’on lui souhaitait, c’était : « Que le diable déchire Redgauntlet ! » Néanmoins, il n’était pas mauvais maître pour ses gens, et ses fermiers l’aimaient encore assez ; quant aux satellites et aux soldats qui le secondaient dans ses persécutions, comme les whigs appelaient ces sanglantes époques, ils se seraient enivrés à n’y plus voir en buvant à la santé du laird.

Maintenant, vous saurez que mon grand-père demeurait sur les domaines de Redgauntlet : — l’endroit se nomme Primrose-Know. Nous y avions demeuré sous la domination des Redgauntlet, depuis le commencement des poursuites et bien auparavant. C’était une jolie habitation, et je crois que l’air y est plus vivifiant et plus frais que partout ailleurs dans le pays : elle est maintenant tout à fait abandonnée. J’étais assis sur le seuil de la porte brisée il y a trois jours, et j’étais content qu’il me fût impossible de voir le triste état de notre ancienne demeure ; mais il ne s’agit point de tout cela. C’était donc là que demeurait mon grand-père Steenie Steenson, coureur de pays et bon diable dans son jeune temps, joueur habile de cornemuse ; il était fameux pour l’air de Hoopers et Girders. — Tout le Cumberland ne le valait pas pour celui de Jockie Lutin ; — et il avait les doigts les plus agiles qu’il y eût sur le violon, entre Cerwick et Carlisle. Un gaillard comme Steenie n’était pas de l’étoffe dont se font les whigs. Il devint donc tory, comme on disait alors ; ce qui équivaut à jacobite aujourd’hui, par une espèce de nécessité, pour appartenir à l’un ou à l’autre de ces partis. Il n’avait aucune malveillance pour les whigs, et n’aimait pas à voir couler le sang : néanmoins, comme il était obligé de suivre sir Robert à la chasse et au combat, aux battues et aux excursions, il vit faire beaucoup de mal, et peut-être en fit-il un peu qu’il ne pouvait éviter.