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mais l’un d’eux ignore complètement où ils portent leurs pas.

Et pourquoi vous engouer si vite d’une pareille folie ? demande mon sage conseiller. — Ma foi, je crois qu’en somme, de même que le sentiment de mon abandon et le plaisir qu’on trouve à échanger des soins mutuels m’ont décidé à m’établir momentanément à Mont-Sharon ; de même l’uniformité de la vie que j’y menais, la simplicité paisible de la conversation des Geddes, et la monotonie de leurs amusements et de leurs occupations, ont lassé mon naturel impatient, et m’ont disposé à saisir le premier moyen d’évasion que le hasard mettrait à ma portée.

Que n’aurais-je pas donné pour parvenir à répandre sur mon visage cet air solennel et grave que vous possédez, afin de couvrir mon espièglerie de cette couleur sérieuse, dont vous avez si souvent couvert les vôtres ! Vous avez une si heureuse adresse pour faire les choses les plus folles de la manière la plus sage, que vous feriez passer vos extravagances pour des actions raisonnables aux yeux de la prudence même.

D’après la direction que suivait mon guide, je commençai à soupçonner que la vallée de Brokenburn était le but de notre voyage. Or, il devenait important pour moi de réfléchir si je pouvais honnêtement, et même sans péril, forcer pour ainsi dire mon ancien hôte à m’accorder encore l’hospitalité. Je demandai donc à Willie si nous n’allions pas chez le laird.

« Connaissez-vous le laird ? » répliqua Willie interrompant une ouverture de Corelli, dont il avait sifflé plusieurs morceaux avec une grande précision.

« Je le connais un peu, répondis-je ; et c’est pourquoi je doute si je dois m’introduire dans sa maison sous un déguisement.

— Et j’hésiterais moi, non pas un peu, mais beaucoup, avant de vous y conduire, mon jeune ami ; car je pense que le mieux qui pourrait nous en arriver, à vous et à moi, serait de nous faire rompre quelques os. Non, non, ami, nous n’allons pas chez le laird, mais à une joyeuse réunion à Brokenburn-Foot, où il y aura force jolis garçons et force jolies filles ; et peut-être y verra-t-on les gens du laird, car pour lui-même il ne vient jamais à de pareilles assemblées. Il ne songe plus qu’au fusil de chasse et à la javeline au saumon, à présent que piques et mousquets ne sont plus à l’ordre du jour.

— Il a donc été soldat ?

— Je répondrais qu’il a servi. Mais suivez mon conseil, et ne