Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 2, 1838.djvu/90

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que je désirais, afin de ne pas les voir soumis, dans ses derniers jours, à la censure du public.

Plusieurs fois, je lui avais renouvelé ma prière et j’avais sollicité son secours, dans la conviction intime où j’étais que la mémoire de ma vieille amie était le dépôt le plus précieux des traditions écossaises. C’était un point sur lequel mon esprit était tellement fixé, que, lorsque je l’entendais décrire des mœurs qui remontaient bien au-delà de son temps, me dire comment parlait Eletcher de Salton, comment dansait Graham de Claverhouse, quels bijoux portait la fameuse duchesse de Lauderdale, comment elle les avait acquis, je ne pouvais m’empêcher de dire à ma vieille amie qu’elle me semblait une fée qui nous abusait en prenante nos yeux la forme d’une mortelle de nos jours, lorsque peut-être elle avait assisté aux révolutions des siècles passés. Elle riait beaucoup quand je la priais de me jurer solennellement qu’elle n’avait pas dansé aux bals donnés par Marie d’Est[1]. Elle riait encore, tandis que son malheureux époux occupait Holy-Rood, comme une espèce d’exil honorable, lorsque je lui demandais si elle ne se rappelait pas avoir vu Charles II, lorsque, en 1650, il vint en Écosse, et si elle ne conservait pas quelque léger souvenir de l’usurpateur audacieux qui le repoussa au-delà du Forth.

« Beau cousin, » me répondit-elle en riant, « je puis vous assurer que je n’ai aucun souvenir d’avoir vu ces personnages-là. Mais vous devez savoir qu’une des choses les plus étonnantes de mon caractère est le peu de changement qu’il a subi dans tout le cours de ma vie. Il en résulte, cousin, que, trop jeune d’esprit à présent pour le nombre d’années dont le temps m’a chargée, j’étais dans ma jeunesse un peu trop vieille pour les personnes de mon âge, et que j’avais alors autant de goût pour la société des personnes plus mûres, que j’en ai maintenant pour celle des jeunes galants de cinquante à soixante ans, tels que vous : ce qui me va beaucoup mieux qu’une compagnie d’octogénaires. Or, quoique je ne vienne pas positivement d’Elfland[2], et que, par conséquent, je ne puisse me vanter d’avoir connu personnellement les gens illustres dont vous me parlez, cependant j’ai vu et entendu des hommes qui les avaient connus, et qui ont pu me donner à leur

  1. Le duc d’Yorck, qui régna sous le nom de Jacques II, devenu suspect au parlement d’Angleterre à cause de sa religion, demeurait souvent à Holy-Rood : Marie d’Est, son épouse, prodiguait, par politique, les fêtes et les bals à la noblesse écossaise. a. m.
  2. Pays des fées. a. m.