Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 2, 1838.djvu/88

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tantes sur le continent, et, plus d’une fois, elle avait profité de cette occasion pour visiter l’Europe. C’était là une source continuelle de récits et d’anecdotes, dont la plus grande partie était relative à la dernière guerre qui, pendant tant d’années, avait fermé le continent aux Anglais. Mistress Baliol, d’ailleurs, n’avait pas visité ces pays étrangers comme les Anglais de nos jours, qui, pour se conformer à la mode du siècle, voyagent par caravanes, et ne voient guère en France et en Italie que la même société qu’ils auraient vue chez eux. Au contraire, curieuse de se rapprocher des habitants du pays, elle jouissait tout à la fois des avantages de leur société, et du plaisir de la comparer avec les cercles de la Grande-Bretagne.

Peut-être en se familiarisant ainsi avec les mœurs étrangères, en avait-elle pris elle-même une légère teinte. Cependant, j’ai toujours été convaincu que la vivacité extrême de son regard et de ses manières, le geste expressif et marqué qui accompagnait chacune de ses paroles, l’usage de sa tabatière d’or enrichie de brillants, ou plutôt de sa bonbonnière (car elle ne prenait point de tabac, et cette petite boîte était pleine de morceaux d’angélique et d’autres sucreries à l’usage des dames), que tout cela, dis-je, provenait d’anciennes modes écossaises. Et réellement, ces façons gracieuses auraient été tout à fait dignes de la table à thé de Susannah, comtesse d’Eglington et protectrice d’Allan Ramsay[1], ou de celle de l’honorable mistress Ohilvy, autre miroir sur lequel les jeunes filles d’Auld-Reekie prenaient à l’envi des leçons d’élégance et de bon goût. Quoique très-habituée aux mœurs et aux coutumes des autres pays, c’était dans le sien principalement que mistress Baliol avait formé son ton et ses manières, et cela, à une époque où les gens du grand monde vivaient dans un cercle très-resserré, et où les noms les plus distingués de la haute société donnaient à Édimbourg cet éclat que l’on s’efforce aujourd’hui d’obtenir en se livrant à des dépenses sans bornes et en étendant la sphère de ses plaisirs.

Ce qui contribua à me confirmer encore plus dans cette opinion, c’est le dialecte particulier dont se servait mistress Baliol. Il était écossais, positivement écossais, et mêlé de mots et de phrases entières qui, de nos jours, ne sont plus en usage. Mais alors son ton et sa prononciation différaient autant de la mélopée

  1. La comtesse d’Eglington encouragea les premiers chants du poète écossais, Allan Ramsay, auteur du Gentle shepherd, le Gentil berger. a. m.