Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 2, 1838.djvu/80

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qui occupait une espèce de loge à côté de la porte, et qui remplissait les fonctions de concierge. C’était un vieux soldat que mistress Baliol avait investi de cet emploi, en partie par esprit de charité, et en partie à cause de la ressemblance qu’elle trouvait entre la tête de cet homme, une des plus belles qu’on pût voir, et celle de Garrick, dans le rôle de Lusignan[1]. Il était silencieux jusqu’à la taciturnité, grave et lent dans tous ses mouvements : jamais il ne pouvait prendre sur lui d’ouvrir la porte cochère à une voiture de louage ; se bornant à indiquer du doigt le guichet comme la seule entrée convenable pour quiconque se présentait dans un équipage aussi mesquin : un carrosse numéroté eût certainement offensé, dans son esprit, la dignité de Baliol’s Lodging. Je ne crois pas que cette particularité eût obtenu l’approbation de sa maîtresse, plus que le goût bien prononcé du seigneur Lusignan, ou Archy Macready, comme il s’appelait vulgairement, pour un verre de whisky. Mais mistress Martha Bethune Baliol sentait au fond de son cœur qu’elle ne pourrait jamais prendre sur elle de détrôner le roi de Palestine, c’est-à-dire, de le déplacer du banc de pierre sur lequel il restait des heures entières occupé à tricoter un bas[2] : en conséquence, elle refusait de croire aux accusations portées fréquemment contre lui, et rejetait bien loin toute idée de le mettre en jugement. Elle pensait avec assez de raison que, plus il croirait la dignité de son caractère à l’abri de tout soupçon et de tout châtiment humiliant, plus il serait de son devoir de s’observer avec sévérité et de s’abstenir de tomber dans son péché favori. « Et, après tout, disait-elle, ne serait-il pas cruel de renvoyer un vieux soldat montagnard, pour une peccadille si commune dans son pays et dans sa profession ? »

La grande entrée des équipages et la modeste porte des piétons conduisaient dans une allée courte et étroite, bordée de chaque côté par une rangée de tilleuls dont le vert feuillage, pendant le printemps, contrastait étrangement avec la couleur sombre des deux murs, le long desquels ils étaient plantés. Cette avenue aboutissait à la façade de la maison, qui se composait de deux corps de logis à pignons découpés ; et dont les croisées étaient décorées de lourds ornements d’architecture. Ils se joignaient à angles droits ; et une tour demi-circulaire, où se trouvaient la porte d’entrée et l’escalier, occupait le point de jonction et arron-

  1. Traduction de la Zaïre de Voltaire.
  2. En Écosse, les domestiques mâles tricotent comme les femmes. a. m.